Des hommes et une terre: Le Meursault Genevrières
Travailler la terre est une tâche rude qui de tous temps a su trouver une reconnaissance dans l’imaginaire populaire.
Considéré comme une véritable corporation sous l’empire romain, le métier de vigneron est sans doute l’un des plus difficiles qui soit car il met à l’épreuve l’ensemble de la motricité humaine tout en se révélant exigeant car son labeur se déroule en extérieur par tous les temps.
Nous avons oublié de nos jours que la proximité des coteaux depuis les villages est toute relative car permise par les « chevaux vapeurs ». Autrefois, se déplacer à pied pour rester du lever au coucher du soleil dans une parcelle en y déjeunant générait une singulière proximité avec le monde naturel qui, parfois, devenait ennemi en ce que ces éléments ne se préoccupaient guère de la santé des mains qui mettaient en forme une culture. Quand bien même ait elle pu être noble!
Non, il s’agissait durant 8 à 12 heures de façonner les vignes d’un propriétaire exigeant qui comptait en « journaux » le labeur accompli sans autoriser que l’on pu, ne serait-ce qu’un peu, s’écarter d’un rythme « immuable » pré-établi, précisément. Chaque ouvrage avait une temporalité et rendre compte de celle-ci faisait partie des charges que l’employé devait à son patron.
Nous savons que les vins blancs furent révérés jusqu’au 12ieme siècle comme étant les plus qualitatifs de tous, puis ils furent supplantés par le vin vermeil qui seul jusqu’à la fin du 18 ieme porta en lui la notion de qualité absolue des Crus de Bourgogne . Que l’on ne s’y trompe pas toutefois, les mêmes gestes et les mêmes plants furent durant près de deux millénaires reproduits par provignage et les blancs étaient bien souvent obtenus par pressurage ou foulage de raisins noirs à jus blancs et de quelques variétés rustiques de blancs dont le meilleur était sans doute le pinot - ou pineau - blanc.
Les bras du vigneron ne connaissaient pas la mécanisation et si des « charrois « à tractions animales étaient parfois utilisés pour le remontage des terres où la distribution des paisseaux et fumures, peu nombreux étaient les endroits où ils pouvaient simplement accéder pour soulager la peine des ouvriers. Ceux-ci travaillant en « journées » se construisaient alors nombre d’abris en pierre - Les petites « cabottes de vignes » pour se restaurer, se reposer parfois en une sieste réparatrice mais plus sûrement se protéger des aléas climatiques. Construits à partir des pierres retirées au sol ses refuges subsistent en de rares endroits et la plus marquante de ces cabanes minérales est sans nul doute celle qui se trouve au cœur des Genevrières du dessous, petite résurgence d’un passé pas si éloigné où l’homme savait courber l’échine sur un mode résiliant et admettre que parfois il lui fallait un endroit de repli pour lui et ses outils.
Parmi les grands crus blancs oubliés du classement des années trente, Genevrières est sans doute celui qui aurait le plus mérité d’obtenir ce titre, plus encore peut-être que Perrières si j’en juge l’homogénéité remarquable de l’ensemble du territoire qu’il occupe. Une chose est certaine pour les amateurs de blancs élégants, fins et racés à texture soyeuse, il trône en tête des blancs de Bourgogne en compagnie du Chevalier de Puligny-Montrachet.
Vin de dentelle, pendant des Amoureuses cambuléennes, ce vin harmonieux et droit possède également l’incomparable qualité de vieillir avec grâce. Le voir s’affiner au fil des années est sans doute l’un des rares plaisirs qu’il est permis à un amateur de vérifier sur la quasi totalité des millésimes qui sont mis en marché tant ce vin est régulier. Il doit ses extrêmes qualités à plusieurs facteurs :
En premier lieu un sol argilo-calcaire homogène, assez peu profond – surtout en sa partie haute – datant de l’étage Bathonien. Ce substrat est également marqué par des Marnes blanches et il permet aux plants d’équilibrer avec justesse leur vigueur pour générer des fruits gorgés de sucs qui donnent des jus finement glycérinés.
Ensuite, une inclinaison de pente allant de forte – hauts des Genevrières Dessus – à modérée dans le bas des Genevrières Dessous. Cette situation morpho-géologique assure un parfait drainage des eaux de pluie, elle est encore accentuée par la construction assez récente d’un collecteur d’eau dans le milieu bas du climat.L’eau ne stagne jamais dans les vignes.
Une orientation plein Est avec des vignes coupant les deux demies parties du climat dans le sens Est-Ouest. Cette situation d’exposition , idéale, permet de préserver une très belle fraîcheur dans les raisins qui arrivent à maturité sans être « rôtis » excessivement par les rayons du soleil et il se développe ainsi une vraie maturité de fruit avec des degrés potentiels modérés. Cela explique sans doute une bonne part de l’ultime finesse qui caractérise les vins.
Un ensemble de parcelles très homogènes et un morcellement un peu moins accentué que dans d’autres climats communaux. Bien sût le bord sud des Genévrières du Dessous est très découpé mais si l’on excepte la zone médiane des parties hautes , ce sont à peu près les seules parcelles qui sont inférieures à 20 ares. Par ailleurs 4 propriétés exploitent ici plus de deux hectares ce qui est assez exceptionnel au niveau des premiers crus de la commune.
A la lumière de ces constats nous pouvons dégager trois grandes zones à l’intérieur de ce climat premier cru qui mesure 16 ha et 4794 a :
Les Genevrières du Dessus : Ils forment un rectangle quasi parfait enclavé entre les Chaumes de Narvaux au dessus, les Poruzots au Nord et les Perrières du Dessous au Sud. Son sol est assez fortement incliné vers le levant et un peu moins large au niveau de son bord Sud. Terroir pierreux, marqué par des terres blondes, un rien plus sombre en son centre, il a le potentiel avéré d’un grand cru et est sans doute celui qui en plus de la finesse livre les expressions les plus ciselées. Un peu plus vif que le bas en moyenne, moins corpulent mais aussi délicatement salin, il embaume le chèvrefeuille et la fleur de vigne et cousine fortement avec le Chevalier-Montrachet.
Au dessus des Genevrières du dessus – séparé de lui par un long mur – et directement sous les Chaumes de Narvaux, un sous lieu-dit peu connu appelé « Cure Bourse » ou en patois « Colle Bosse » est exploité pour plus de un hectare par le domaine Pierre Latour-Giraud. De petits rangs parfaitement alignés, plantés sur une pente douce et sur la quasi largeur haute du climat bénéficient d’un sol comparable à celui qu’il surplombe. Le vin y est en général extrêmement plein et fin et mêle curieusement la tension des Perrières proches à la finesse de grain des Genevrières.
Les Genevrières Dessous : située en contre-bas des Genevrières Dessus est lui plus impacté par des terres un rien plus lourdes – bien qu’encore très pierreuses – et donc un sol plus profond et moins marneux. Il en résulte des vins plus denses, très complets et puissants qui vieillissent avec une indicible harmonie. Subtil mélange entre l’immédiate expressivité des Charmes du dessus qu’il jouxte au sud et la finesse des Genevrières du dessus, c’est un vin de taffetas qui ressemble – mais il vous faut faire un effort d’imagination - comme un jumeau blanc au Richebourg vosnier.
Il serait sans doute possible de définir à l’intérieur du Dessus et du Dessous des sous zones caractérisées par une olfaction et des profils organoleptiques singuliers. Je pense notamment au « presque » Clos qui appartenait autrefois à la maison Ropiteau et qui, aujourd’hui, est contrôlé par Bouchard père et fils ou encore au bord nord de la partie Desous qui est situé plus bas dans le coteau et forme un quasi "à plat" car la pente y est très douce. Cette zone occupée pour une part par les hospices de Beaune est marquée des terres les plus lourdes du climat et génère des vins plus puissants, un peu moins délicat, sur une complexité plus brutale...les « Bâtard » de Meursault peut-être…
Ecrit par Patrick Essa vigneron au domaine Buisson-Charles à Meursault
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