Dégustation: Chambertin grand Cru 2010

Publié le par Patrick Essa

Chambertin à Gevrey-Chambertin

 

 

 

Placé à la sortie du village de Gevrey-Chambertin dans le prolongement du Clos de Bèze et sur une pente assez douce, le climat de Chambertin est orienté plein Est. Il mesure très exactement 12 ha 90a et 13ca mais comme le Clos de Beze peut également revendiquer ce nom "simple" on le rencontre plus souvent que lui. Un paradoxe qui ne fait que confirmer la complexité de la compréhension des terroirs bourguignons.

Le Chambertin est depuis longtemps considéré comme l'un des cinq meilleurs grands crus de Bourgogne. Sa position médiane sur un coteau peu pentu et légèrement frais et venté lui confère un grain de texture inimitable qui avant même ses arômes envoûtants le désigne comme un des plus personnels de la Côte de Nuits. Ici, le profil aromatique variétal du pinot noir s'efface pour laisser une nature un peu ombrageuse et sauvage s'affirmer sans éclat ostentatoire mais avec une rare intensité. Lorsque le vin est parfaitement vinifié il libère dès sa jeunesse de prégnants arômes de bâton de réglisse qui le singularise nettement et qui font penser parfois à certains dégustateurs qu'il pourrait manquer de complexité face à son voisin Clos de Bèze, plus immédiatement élégant et aromatique. Il n'en est rien car le Chambertin n'affirme son évidente supériorité que sur la longue durée.

 

Coiffé par une bande d'arbre, incliné en pente douce vers le levant et sous l'emprise des vents qui sortent de la combe Grisard située juste au dessus au sud ouest, c'est un climat légèrement frais qui comme le Musigny puise dans cette situation une vibrante et incomparable nature énergique. Son sol bas et médian est composé de calcaire à entroque du Bajocien inférieur, alors que le haut - légèrement plus pentu et pierreux - est directement marqué par des bans marneux. Ce substratum profond est finement recouvert d'éboulis calcaires et de limons qui se sont déposés au fils des millénaires et mélangés par la façon culturale humaine, multiséculaires.

 

La finesse supposée des parties hautes associées à la puissance des secteurs peu inclinés marquent quelque peu le cru selon les zones où il est produit et apporte de ce fait un éclairage étonnant sur sa nature de véritable Janus gibriaçois. Ainsi est-il révélateur de comparer les Chambertins "du bas" de Prieur, Mortet ou Charlopin avec ceux exclusivement situés "dans le dessus" de Bichot, Bouchard, Bertagna ou Tortochot. La sève de ces derniers face à la nature plus aérienne et immédiate, il faudrait un "livre pour archiver toutes ces sensations! Ces deux "visions" ne résistent toutefois pas à la qualité des cuvées qui mêlent en une symphonie d'arômes les diverses origines. Il faut avoir taster les crus de Trapet, Rossignol-Trapet et Rousseau pour avoir le fin mot gustatif de la "sphère Chambertin", celle qui sans doute permet de définir "le" Chambertin comme le vin le plus incroyablement complet et accompli de Bourgogne.

Soulignons également que ce cru sanguin et fougueux aime les années solaires et qu'il s'exprime en année sèche avec encore plus de classe et de race, comme si sa nature austère aimait à s'épanouir sous les ors. Plus il est récolté mûr et précocement en Septembre, plus il se montre spontané, complexe et jovial. A l'inverse coupé fin Septembre ou en Octobre il rentre dans un froid mutisme qu'il ne quitte bien souvent qu'après quinze années sous verre.

Je vous recommande ceux très denses et racés des domaines Rossignol-Trapet,Trapet et Rousseau plus doux et boisés de Charlopin, très énergiques de Prieur et Trapet et fort sensuels et rares chez Arnaud Mortet.

 

Chambertin 2010 - Rousseau: Le domaine Rousseau possède ici plus de deux hectares répartis entre partie hautes, basses et médianes et dans les secteurs nord, 50 ares qui longent le cru au dessus, et sud, plus de 1 ha 70 ares qui coupent l'ensemble du cru dans le sens de la pente.Il produit en général des vins d'une rare noblesse de texture qui s'expriment encore mieux sur la durée. Je ne sais si mes impressions furent pertinentes mais il m'a nettement semblé que ce vin en 2010 s'exprimait sur une salinité et une énergie plus évidente qu'à l'accoutumée. La couleur sombre, le nez discrètement fumé et épicé centré sur des notes de fruits noirs à l'agitation et la bouche pure et austère avec une ligne acide assez saillante m'ont fait penser à un léger infléchissement du style Rousseau vers une forme plus immédiatement concentrée et me semble t'il encore plus ambitieuse. J'ai beaucoup aimé car désormais les Chambertin les plus aboutis "cousinent" tous dans le registre historique et un peu "cistercien" et "frais" du cru. Le grand style! Hors classe.

 

Chambertin 2010 - Château de Marsannay: Le Château exploite 9 ares 86 ca de ce grand cru situés dans la partie supérieure septentrionnale du grand cru. C'est un vin en général très puissant et énergique qui bénéficie d'un élevage en fûts neufs un rien appuyé tout comme les deux ouvrées de Ruchottes du domaine. Comme à son habitude il se montre ici marqué par un boisé très preignant au nez faisant suite à une robe sombre. La matière est concentrée et les tanins assez abondants mais la race du vin est indéniable et sa longueur remarquable. A attendre patiemment après sa mise en bouteille. Bien +

 

Chambertin 2010 - Trapet: Le domaine Trapet a produit ces dernières années toute une série de Chambertin de haut niveau dans un registre éclatant qui gomme nettement les effets d'élevage au profit de l'expression de la nature tellurique de ce crus extaordinaire. Sur 1,86 ha situés sur la partie médiane et nord du cru dans des parcelles qui le coupe quasiment entièrement de haut en bas, le Chambertin Trapet est l'un des plus vibrants qui soit. Ce 2010 frais et énergique aux accents salins d'une pureté insigne s'exprime avec une grande élégance. Couleur rubis, profonde. Nez réglissé aux accents de poivre noirs et de pivoine en même temps qu'une subtile touche d'églantine et bouche soyeuse et enveloppante où l'élevage est quasiment absent. Quelle classe et quelle adresse de vinfication! Hors classe.

 

Chambertin 2010 - Rossignol-Trapet: Sur des parcelles quasiment jumelles à celles de Trapet puisque les domaines sont "cousins" les frères Rossignol-Trapet produisent aujourd'hui l'un des plus grands vins de Bourgogne... tout simplement. Loin des styles fardés et enjoleurs de certaines vinifications démonstratives - et qui ont nettement tendance à disparaître - leur vin exprime une vérité intérieure profonde à associer directement au Climat. Sur 1,7 ha placés au milieu du cru essentiellement, leur Chambertin se donne avec fougue en 2010 avec un "je ne sais quoi" de sauvagerie qui en impose. La robe est très sombre, le nez quasiment "éteint au début" s'ouvre à l'agitation sur des accents réglissés et graphités avec un côté un peu mat qui sied à cette année marquée par la rectitude des arômes. La bouche est d'une concentration vraiment imposante soulignée par des tanins saillants qui semblent se polir encore en fûts. La force tranquille de ce vin impressionne et montre que le domaine est désormais à un niveau que bien peu partagent. Hors classe aujourd'hui, Hors ligne demain.

 

Chambertin 2010 - Damoy: Le domaine exploite 47,59 ares de Chambertin en plus de sa très grande parcelle de Clos de Bèze. Je sais que les rendements aux vignes sont ténus, que la maturité des fruits est systématiquement recherchées et qu'en général je déguste toujours des vins profonds signés Damoy ou des producteurs qu'il approvisionne quelquefois. J'avoue cependant humblement avoir eu du mal à évaluer ces deux crus noirs, concentrés et en même temps très animaux. J'ai même décelé un caractère sauvage assez proche de ce que peuvent exprimer les levures brettanomyces. Je gage qu'il s'agit d'un stade et que mon jugement sera sans doute révisable car la matière est tellement riche que je ne peux me résoudre à condamner ce vin. Mais pour l'instant je ne sais ce qu'il donnera vraiment... A revoir.

Publié dans Côte de Nuits

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