D'où proviennent les senteurs indésirables dans les vins blancs de Bourgogne
J'évoquais il y a peu en ces colonnes les déviations aromatiques empyreumatiques et grillées qui affectent les vins blancs. En me penchant plus avant dans ma mémoire sensorielle, il m'est venu l'idée de sérier ici les principaux défauts que l'on retrouve dans les crus issus du chardonnay de la Côte de Beaune. En effet l'amateur - qui n'est pas toujours
un débutant bien entendu - n'a pas la chance d'observer la naissance et l'évolution de ses senteurs et arômes et peut être amené à les confondre avec une complexité aromatique à relier en priorité au cépage ou au terroir.
Ces notes variétales et/ou propres au terroir peuvent ainsi être parasitées par l'équilibre des fruits récoltés et/ou les résidus de la vinification et de l'élevage qui elles sont quasi systématiquement "impures". Ces deux pôles que l'on pourrait qualifier de " naturel" et "artificiel" s'opposent et conduisent les vinificateurs à opérer des choix qui tendent vers une
orientation " magnétique" qui marque sensiblement leurs vins. De manière plus insidieuse les vins produits depuis des temps immémoriaux ont toujours été à la croisée de ces deux orientations et se retrouvent culturellement singularisés par elles. Qui ne comprends pas que le seul terroir ne peut suffire à expliquer l'image qui caractérise une appellation essaiera toujours de trouver des accents "extra naturels/ artificiels" dans les vins qu'il déguste car ces accents indélébiles portent en eux une part de la mise en œuvre qu'observent ceux qui les
façonnent.
Pour éclairer mon propos sur les dérives grillées que peut porter une bouteille j'ai listé dans mon précédent article une somme de perceptions - non exhaustives - qui affectent les crus
blancs, ici, je vais partir de la note aromatique pour mieux essayer d'expliquer sa genèse et ses différentes perceptions et interprétations dans le vin fini lors de l'olfaction.
1- La note olfactive iodée: cette senteur qui peut être discrète si elle provient d'une récolte " mouillée " un peu botrytisée est souvent envahissante dans les vins qui sont marqués par la pourriture non noble, dîtes " grise ". Impossible à éradiquer sans user de lies pures - possible lorsqu'une même appellation est produite sur différents climats et que certains ne sont pas atteints par la pourriture. Années impactées fréquemment: 1981,2001 et 2010.
2- la note olfactive "pommée"(de pomme verte ou chaude): le moût ou le vin a pris l'air entre la fermentation alcoolique et la fermentation malo-lactique ou cette dernière a duré très longtemps à un rythme lent. Ce dernier cas intervenant fréquemment dans les moûts à fort potentiel acide. Années impactées: 1994,2008.
3- la note olfactive "végétale": les senteurs de foin coupé, de sauge ou d'iris proviennent d'une maturation sans soleil en année tardive combinée à un débourbage un peu trop lâche.Peaux épaisses, degrés assez élevés mais dépassant rarement 13, petite dessiccation des baies par le vent. Les pressurages de ces baies donnent souvent peu de jus et le vin vire au nez sur la fleur de gentiane. Années: 1991,2004, 2011.
4- la note olfactive "cireuse" ou " miellée ": une vendange trop mûre, peu acide et parfois marquée par un vrai botrytis. Souvent le signe d'une évolution prématurée sauf si la couleur reste or à reflets verts. Le vin part dans sa vie sous verre avec des senteurs de mirabelle et évolue ensuite plus ou moins vite vers des arômes proches de l'hydromel. Année 1983, 2006.
5- la note olfactive "d'orange confite": une année de botrytis qui se combine souvent avec des couleurs or prononcées. Très aromatique jeune, s'affinant parfois au vieillissement mais jamais sur les notes fraîches les plus nobles. La texture visqueuse peut séduire. Année: 1989, 1992,1995.
6- la note olfactive de truffe blanche: issues de raisins passerillés et/ou flétris. Pas désagréable si discrète mais hélas souvent combinée à des acidités basses: 2003.
7- la note olfactive grillée : voir le texte écrit à son propos dans ma chronique précédente.
8- la note olfactive "de beurre": fraîche ou rance, elle est due à une bactérie lactique fonctionnant lors de la FML, oenococcus oeni, qui génère lors d'une fermentation tumultueuse un métabolite précurseur d'arôme, le diacétile. Toutes les années peuvent être impactées mais curieusement surtout les moûts fortement concentrés marqués par des fermentations malo- lactiques intenses
9- la note olfactive dîtes "réduite": Nébuleuse nasale entêtante qui évoque tour à tour la mèche soufrée ou qui va sous sa forme évolutive H2S vers le fameux mercaptan, un thiol qui sent l'oeuf punaie. Elle est la pire déviation organoleptique qui soit. Générées par des lies bourbeuses qui proviennent de fruit marqués par des soufres résiduels conjugués à des contenants ne laissant place à aucune micro-oxygénation. Elle doit impérativement être circonscrite avant mise par traitement au cuivre. Son "résidu" olfactif est le bourgeon de cassis.
10- la note olfactive de type "asperge": ajout massif de sulfite à la mise en bouteille et lente combinaison avec la partie dites totale du SO2 sous verre.le SO2 libre restant en général à un niveau élevé. Le vin vieillit bien mais se montre maigre et peu complexe.
11- la note amylique qui marque les vins ayant fermentés à des températures basses en grand contenant inertes. Arômes de "colle scotch" qui simplifient outrageusement le pôle olfactif du vin en donnant l'illusion de notes de fruits blancs à l'aération. Elle se couple souvent à des sucres résiduels et à l'absence de fermentation Malo- lactique. Sans parler de doses de gaz CO2.
12- la note olfactive acétique: un vin blanc comme un vin rouge peut développer une note d’acidité volatile marquée qui se perçoit lorsque le vin évoque sournoisement le vinaigre ou encore le vernis à ongle - on le décrit plutôt alors comme étant « acétate »- en développant de fines notes ascecentes. Un défaut pernicieux vieux qui a une limite légale fixée à 0.88gL H2 So4.
J’ajouterai à cela que depuis une petite dizaine d’années certains producteurs se sont aperçus que produire des vins maigres et très acides à base de récoltes infra-mûrs autorisait un lissage aromatique pouvant faire penser à une pureté provenant d’une réelle maîtrise des vinifications et d’un équilibre idéal des fruits. Il n’en n’est rien.
Ce choix conduit à faire de se la « pureté abstractive » en ce sens qu’on simplifie les actions des précurseurs d’arômes en leur interdisant par là non maturité de livrer leur message. De ce fait on étire la longueur finale des vins par l’acidité tartrique, non par la sensualité d’arômes multiples qui imprègnent de manière multi-dimensionnelle le palais comme les senteurs, le touché de bouche, la granularité de texture, l’intensité complexe de la finale entre autres, mais il faudrait un livre sur ces processus. On peut exalter cela artificiellement en chargeant un peu haut les crus en gaz et en laissant la fine réduction passer pour de la « mineralité».
Tout cela n’est que placebo de faiseur - j’ai d’ailleurs vinifié, faiseur je sais faire!, des cuvées expérimentales en ce sens pour comprendre - et n’a rien à voir avec le terroir, sa nature vraie, son expression juste.
Ces vins qui exaltent souvent ce que j’appelle une « pureté sulfitique » artificielle n’ont pas de réelle « accroche » avec les climats qui les portent en dehors de leur concentration...et hélas elle est souvent, pas toujours, de faible niveau. Réfléchissez bien vous en avez tous en tête.
Produire un blanc s'affranchissant de l'ensemble de ces senteurs est une gageure tant les millésimes, de par leurs caractères, typent les vins mais il est sans doute nécessaire de rechercher des expressions discrètes qui ne dominent pas l'ultime finesse qui provient de la note de terroir conjuguées plus ou moins franchement avec celles du cépage.
On considérera également que les vins ne doivent pas être sous influence du contenant dans lesquels ils ont été vinifiés. La sucrosité d'un boisé ne doit jamais dominer celle de l'équilibre des fruits. De même les contenants neutres de type inox ne doivent pas produire d'effets réducteurs résiduels et uniquement exalter la fraîcheur des arômes initiaux sans les effacer par des accents soufrés.
Bonnes dégustations.
Patrick Essa - 2018
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