Caractère général et cru de niveau village du finage de Chambolle-Musigny
Le Grognot veille de ses hauteurs sur le finage de Chambolle. Montagne « Orienne » peu impressionnante, elle surplombe l’un des terroirs bourguignons les plus précieux en l’abritant des vents d’ouest et en autorisant les rayons d’Est à rôtir ses côtes. Son sommet ne vaut rien quand ses pentes sont d’or, le mont isolé formant une double combe sur ses flancs a le privilège en quelque sorte d’enchâsser le diamant Musigny.
Le village situé en dessous est beau, petit, discret et ombragé. Passez à Chambolle un jour de canicule, vous y trouverez fraîcheur et climat paisible, comme si les combes éboulées avaient permis à ses pierres de trouver une juste place, comme si les ruelles étroites étaient propices à la mesure, au recueillement et à la rêverie…le vin transpire de cet air du temps, de ce climat prégnant qui vous étreint à la première visite, de cette douceur évanescente qui s’insinue dans ces venelles tordues et intriquées. J’aime sa terre chaude et blonde qui semble couler dans les verres au moment du partage, qui offre un plaisir franc et charnel, une palette riche et lumineuse, mais surtout la séduction. Chambolle est la diva de la côte, son Grognot est vilain mais la danseuse a la grâce des belles Amoureuses.
Caractères historiques :
Jusqu’au début du 15° siècle Chambolle ne fut considéré que comme un hameau dépendant de la paroisse de Gilly. Seules quelques familles liées à la terre vivaient dans des maisons austères. Elles « devaient » auparavant le culte à l’église du bourg principal et ce sont les moines de Cîteaux qui autorisèrent la construction d’une église à l’emplacement d’une très ancienne chapelle. Le village fut dominé par diverses seigneuries, les De Vienne puis les Saulx –Tavannes, les Beaumont et enfin par les Croonenbourg, seigneurs de Vougeot qui ont longtemps possédé la Romanée…qui n’était encore point Conti.
A la révolution, la famille de Clery ayant succédé au Croonembourg fut dessaisie de ses droits ancestraux, les hommes de bonne volonté remanièrent les terres, les redécoupèrent et les renommèrent parfois. Il s’en suivi une large redistribution foncière qui fit le jeu des bourgeois et des paysans fortunés. Ainsi en 1855 le Musigny compte t' il parmi ses propriétaires les de Montille, Marey, de Reulle, Leroy, Coste, Groffier...alors qu'en 1890 le vignoble ne compte plus que la famille Malbranche dans ses anciens propriétaires et l’on voit apparaître les Bichot, Ponnelle, Thomas Bassot - tous futurs grands acteurs du Bourgogne du début du 20°siècle - mais aussi les de Vogüé et Mugnier, qui seuls subsistent aujourd’hui. En moins de 35 ans l’intégralité des Musigny change de main!
On imagine assez mal aujourd’hui que cette période est celle qui positionne les crus modernes à leur place actuelle et que les premières classifications – par exemple - voient le jour à cette époque. Celle du docteur Lavalle en 1855, puis plus tard le classement du comité d’agriculture Beaunois. Celles-ci sont réalisées sans véritables buts commerciaux et entérinent les classifications locales ancestrales, jugées « loyales et constantes ». A Chambolle il est remarquable de constater que seul Le Musigny est placé en tête de cuvée; et, comme il est de coutume alors on distingue nettement les Musigny au nord, des petits Musigny plus au sud et incliné un peu sud-est, en les mettant tout deux à égalité sur le plan de la qualité cependant. En revanche le clos Musigny Leroi (notez l’orthographe) est cadastré dans la combe d’Orveaux et placé lui en première et deuxième cuvée…il est aujourd’hui la propriété du domaine Prieur à Meursault, qui en tire du Musigny par un décret officiel datant des années Mille neuf cent trente! Selon que tu seras faible ou puissant…on pourrait vite conclure, mais le vin est le meilleur blanc-seing du domaine sis en côte de Beaune, car il est régulièrement parfait. Le meilleur Combe d’Orveaux grand cru de Bourgogne sans nul doute !
J’aimerais souligner la très grande précision des classements de l’époque – et surtout celui de Lavalle, infiniment juste et précieux - qui boutent certaines parties de Bonnes Mares en seconde classe (les carrières aux sols remaniés), qui positionnent le très méconnu « Véroilles » ou « Varoilles » à l’égale des Amoureuses tout en excluant les carrières du dessus des Amoureuses de la « première », et en redonnant des titres de noblesse aux Fuées et Cras si injustement minorés aujourd’hui en raison de leurs noms moins porteurs. On ne classait pas les carrières aux sols remaniés comme les crus avoisinants, on ne classait pas les murgers de pierres retirées et partout les limites des premières cuvées ne pouvaient être étendues à l’envi. Que de sérieux et d’application à défendre ce patrimoine aux appellations encore inexistantes! Quelles leçons devrions nous tirer de cette droiture à l’heure où l’on ne cesse de vouloir étendre et re-classer!
Le vin est alors très rarement mis en bouteille par les vignerons qui le travaillent et à ce titre le paysage viticole du 19° siècle ne ressemble en rien à celui que nous connaissons aujourd’hui. Le « va au vigne » n’est pas le « caviste » qui n’a que peu de relations avec le propriétaire foncier. La distribution des crus se fait par étape et reproduit en cela les modèles sociaux de l’époque qui cloisonnent le travail de la terre des vignerons, le travail manuel des classes ouvrières des caves et le commerce de la bourgeoisie de la place, qui contrôle les ventes et les marchés. Il n’existe pas ou très peu de « petits propriétaires » sérieux à Chambolle avant les années trente. Ceux là naîtront des méventes et des affres de l’après crise phylloxérique qui asphyxia les grosses entités et autorisa les « contremaîtres » à se créer un foncier durement gagné à la sueur de la pioche! Ainsi les familles Amiot, Servelle, Boursot, Moretti, Zibetti, Serveau, Sigaut, Roblot, Volpato, Roumier, Hudelot, purent elles au fil du 20 ° siècle se constituer des patrimoines divers, mais propres, des entités bâties à force de courage et d’abnégation qui finirent par les diriger vers la vente de leurs précieuses bouteilles.
On comprend ainsi l’extrême morcellement de cette étroite bande de terre que constitue le finage communal qui s’est partagé entre les acteurs de sa culture au gré des décennies. On perçoit la nécessaire création de cuvées « premier cru » sans nom car le regroupement de trois « bouts de vignes » en premiers crus autorisait la mention de « première » et par là même la disparition de très nobles cuvées dans ces amalgames. Le courtier joua longtemps le rôle de l’assembleur dans ces contrées,point de climat alors qu'il est assez clair que les noms de crus « porteurs » ont aujourd’hui une très nette influence sur les cuvées les mieux cotées. Mais nous reviendront en détail sur ce point dans le chapitre sur les crus.
Les Chambolle-Musigny de niveau "Village":
Un vin de niveau village de Chambolle est le plus souvent équivalent à la plupart des premiers crus des communes voisines si l'on s'en tient à la complexité de son bouquet et à ce caractère si affirmé qui conjugue tout le spectre aromatique que les petits fruits rouges peuvent composer. Ce fruité éclatant de fraise des bois et de mûre sauvage sur des accents d'églantine est une signature unique qui ne trouve son alter-ego en Bourgogne que sur les premiers crus de mi-pente de Volnay. Deux appellations qui portent l'étendard de la finesse très haut dans le Coeur des bourguignons.
Si l'on s'en tient aux différents noms de lieux-dits, on peut constater que comme dans les autres communes ils colonisent le pourtour des crus et grands crus dans les situations les plus diverses.
Un premier bloc est assez curieusement positionné à la suite des Musigny, La Taupe termine le Musigny de Prieur en partie haute mais n'est je crois jamais revendiquée et La Combe d'Orveaux de niveau village est elle en arrière des Echezeaux de Vosne dans une situation de Bas de Combe fraîche et sous l'influence éolienne de cet étroit couloir. Frédéric Mugnier produit ici une partie de son excellent et délicat vin de niveau "village" qu'il assemble la plupart du temps avec des vignes du premier cru Les Plantes. Anne Gros produit quant à elle un vin gourmand et frais qui prend le nom du lieu-dit.
Le second secteur se trouve dans une sorte de contre-haut au Sud du village. Sa pente qui va de douce à forte est orientée Nord-Est et repose sur un sol argilo-calcaire dont les hauts sont plus pentus, caillouteux et calcaires. Il part des Argillières pour confiner aux Porlottes et Jutruots en passant par Les Creux Baissants, Fouchères, Derrières le Four, Guéripes et Echezeaux et Les Pas de Chats moins inclinés. Ces climats sont peu souvent revendiqués mais Les Argillieres du négociant Pierre Ponnelle ont eu leurs heures de gloire, quant aux Derrière le Four de Hervé Sigaut et Gérard Seguin et aux Echezeaux d'Armelle et Bernard Rion ce sont tous des vins de fort belle tenue.
Depuis les sources de la Vouge jusqu'aux limites du finage de Morey Saint Denis et juste en dessous des premiers crus se trouvent la majeure partie des climats de niveau village de Chambolle. Ses terres placées entre 210 mètres et 190 mètres d'altitude sont toutes capables de générer de beaux vins de Chambolle dans des cuvées mixtes très recherchées pour leur grain tannique fin. Composées d'argiles et finement caillouteuses ses secteurs sont à l'origine de certains des meilleurs "villages" de la Côte. On trouvera sur cet étroit ruban faiblement pentu de très bons Clos de l'Orme chez Munier à Vougeot (attention de ne pas confondre avec Mugnier) et de très parfumés Athets chez Jean Tardy. Toutefois les trois meilleurs lieux-dits me paraissent êtres les Fremières, Les Bussières et Les Drazey qui sont juste en dessous des Sentiers et Baudes. Digioia-Royer et la maison Leroy produisent des Fremières de niveau premier cru et Les Bussières de Hervé Sigaut et Hubert Lignier ne sont pas loin de les valoir. Quant au Drazey la cuvée la plus représentative est je crois celle de la maison Jadot.
Un dernier secteur de "villages" surplombe le grand cru Bonnes Mares et Les Fuées. Il s'agit des partie élevées des Veroilles et des Cras. Naguère cultivés en petites terrasses, ils ont été quelque peu remis en forme par le jeu des murs et de la mécanisation et se distingue parfois en des cuvées aériennes et subtiles, qualités conférées par leurs sols pentus, pauvres et caillouteux. Les meilleurs exemples me paraissent être Les Veroilles de Bart et Bruno Clair et Les Cras de Patrice Rion.
Patrick Essa - 2018
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