Les Grands crus Romanée et Romanée-Conti
La Romanée et la Romanée Conti
Portées au firmament des crus rouges de Côte d'Or les deux minuscules Romanées ont un nom qui émerge dans le courant du Moyen âge sans que nul aujourd'hui ne puisse réellement savoir par qui et par quoi elles furent "baptisées". Anciennement nommé "Le Cloux" ce secteur semble avoir depuis au moins trois siècles été considéré comme susceptible de produire parmi les vins les plus raffinés de Bourgogne. L'achat par le prince de Conti en 1760 à la famille Croonembourg de la partie basse du cru a contribué à ancrer la légende aristocratique de ce nom, aujourd'hui mythique. À cette époque seulement les deux crus se distinguent. La partie "Conti" ne se vend pas, elle est offerte par le prince à ses hôtes. Une sagesse qu'il serait doux de pouvoir observer aujourd'hui.
La Romanée aurait revêtu ce nom après que la partie basse fut adoubée officiellement Conti. Remembrement réalisé au début du dix neuvième siècle par Louis Basin - futur beau-père de Louis Liger-Belair - de plusieurs petites parcelles dites des Échanges et du Chemin aux Prêtres elle s'est sans aucun doute vendue en Richebourg - le voisin du Nord - pendant quelques décennies. Mais bien malin qui pourra le dire avec certitude. Propriété et sans doute même "création" Liger-Belair, elle est constamment minorée face à La Tâche originelle qui leur appartient aussi - 1,4 ha seulement, dans le milieu bas de la Tâche incluant les Gaudichots - mais aurait sans doute été à coup sur majorée face à l'actuelle.
La vigne de Romanée - 0,8 ha seulement! - est exactement au dessus de celle de la Romanée Conti avec même une incursion du bord nord à l'intérieure de la Conti elle même car il fait une sorte d'épaule qui "enchevêtre" quelque peu les deux climats. Les sols sont sans doute un rien plus caillouteux et maigres en Romanée mais ce qui diffèrencie nettement les deux entités est le sens des plants. Est-Ouest en Conti , ils sont orientés Nord Sud en Romanée dans une zone bombée sur une pente d'environ 10% qui est située juste sous les Reignots. Comme au clos de Tart ils bénéficient d'une insolation plus douce et contenue qui préserve un fruité frais des plus racés en augmentant les sensations florales et ce fameux bouquet de rose ancienne qui, les grandes années, transparaît dans le cru, plus ici qu'ailleurs.
La Romanée combine la douceur et l'extrême complexité de la Conti à la race sidérante du Richebourg qu'elle touche au septentrion. C'est un vin d'où transparaît en premier lieu la finesse de texture mais sans jamais oublier la fougue d'une trame ultra-serrée due aux très vieux plants fins autant qu'à l'incomparable qualité de son substrat qui borde une faille le separant des Reignots plus pierreux. Le déguster est un moment unique et je dois bien avouer que lorsque l'on vinifie un peu de pinot noir, ce vin se présente tout simplement comme l'étalon vers lequel il faut - essayer - de tendre. Quel merveilleux et impossible vin!
La Conti est le vin le plus célèbre de la planète. Son histoire récente est faites de coup d'éclats, de désirs,de passions et d'envies. Mais voila bien une aventure étonnante que la création de ce grand cru qui en vérité a un peu plus de deux siècles seulement.
Étonnante énigme que cette Conti qui hérite du nom d'un prince de Bourbon en pleine révolution française après avoir été baptisée Romanée un siècle plus tôt dans des conditions assez obscures. De nombreuses hypothèses sont avancées, la plus plausible restant celle qui mise sur la beauté de ce nom que l'on retrouve 150 ans avant à Gevrey et Chassagne.
Ce vin n'a donc qu'un peu plus de deux cents ans d'existence sous ce nom. "Cros des Clous"fut celui sous lequel la famille Croonembourg l'acheta dans le courant du 17ieme siècle. Elle su, durant quatre générations, le mettre largement en valeur - en trouvant sans doute un nouveau patronyme pour mieux la diffuser - avant que des revers de fortune ne la poussent à vendre. Naturellement le sieur de Gilly et de Nuits - également prince de Conti - s'en porta acquéreur. On le voit les faits sont plus simples que ce que les éternelles légendes romantiques colportent naïvement. Notons que du vivant du prince son nom est Romanée "appartenant au prince de Conti" , Il n'y a qu'au moment de sa vente que les experts zélés de la république accolent les deux noms, en plus de considérablement vanter ses mérites, dans un texte orienté visant à en accroître la valeur de vente. Des "Sans Culottes" au service secret d'une majesté..assez étonnants au fond!
Je vous renvoie aux textes concis de JF Bazin pour mieux comprendre la genèse d'un mythe qui se construit véritablement au cours du vingtième siècle, faisant passer la parcelle de potentiel cru hors classe à vin inaccessible et spéculatif concentrant toutes les qualités du Bourgogne. Nos temps inconséquents finissant par ne plus voir en lui que sa capacité à décupler sa valeur marchande lors de sa revente pour en évaluer... sa valeur gustative!
Le vin lui même mérite bien mieux que ces stupides considérations mercantiles et si la sagesse l'emportait il serait purement retiré de la vente pour être offert aux invités que la république souhaite honorer. S'il doit être réservé à une élite, autant qu'il serve dignement les intérêts de la Bourgogne et de la France.! Un climat au service des hommes en quelque sorte.
Sur le plan formel, elle mesure 1,8 ha, est orientée en pente douce vers l'Est et forme une singulière vague qui rend son aspect étrange et unique. Comme si les plissements de terrain avaient ici concentrés toute la complexité des coteaux alentours. Argilo-calcaires, ces sols de premier ordre - évidemment, on ne saurait créer "le" vin sur un sol médiocre - produisent peu et les quelques 6000 bouteilles annuelles se vendent environ 1100 euros à la propriété et 5 à 25 fois plus ensuite. C'est un cru élégant et soyeux qui est emprunt de la patte du domaine faites d'un subtil amalgame qui conjugue fine torréfaction, pincée d'épices et "floralité" irisée. Une nature fraîche qui ne supporte pas la sucrosité et conserve un fruité de juste maturité. Elle n'impressionne pas de prime abord mais s'insinue par son bouquet d'églantine et sans agresser s'installe en une olfaction diaphane. Vin de nez surtout, je crois, car le pinot noirien très fin est encore plus raffiné à humer, plus complexe, plus altier qu'à grumer et avaler.
Comte Liger-Belair
DRC
Patrick Essa - 2016
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Ecrit par Patrick Essa le 7 Août 2014
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A lire absolument, le livre de JF Bazin et pour les anglophones le "pearl of the côte" de A Meadows