Les Grands crus de Chambolle-Musigny: Musigny et Bonnes Mares

Publié le par Patrick Essa

Les Grands crus de Chambolle-Musigny: Musigny et Bonnes Mares
Les Grands crus de Chambolle-Musigny: Musigny et Bonnes Mares

Le Musigny 

  S'il fallait désigner cinq crus du Nuiton au niveau de l'excellence, Musigny serait sans nul doute parmi ceux là. Climat assez élevé qui surplombe le Clos de Vougeot et les Amoureuses, il forme une bande rectangulaire regardant le levant et versant légèrement vers le Sud. Sa pente s'accentuant fortement selon que l'on s'élève sur son coteau. Créé par le paysan "romain" Musinus selon une improbable légende transmise oralement, il coiffe le village et le cru de Clos-Vougeot tout en appartenant à son voisin du nord-ouest, Chambolle. Curieuse incursion d'ailleurs que ces possessions cambuléennes en ce lieu si directement intriqué aux terres sises près des sources de la Vouge situées sur Vougeot, commune toute proche en contre-bas. Ces 10,70 ha sont assez éloignés des canons qui assurent la juste et méritée réputation de vin le plus délicat de Bourgogne à Chambolle. Rien n'est en fait moins puissant et concentré qu'un Musigny abouti de grande année et la finesse n'est certes pas son seul caractère.

Non! 

Musigny est d'abord un vin incroyablement parfumé qui, en ce sens, surpasse tous les autres climats de la Côte en renvoyant dans les cordes les tenants du pinot qui "pinote" et donc son seul aspect variétal. Ce cru singulier préserve puissance et finesse de texture tout en embaumant l'aubépine, la griotte et le réglisse à des niveaux d'intensité parfois subjuguant. Rien ne lui ressemble, et il est à l'évidence celui qui possède le nez le plus incroyablement complexe que je connaisse. Proche d'un parfum, il est un peu comme le fameux Patou qui naît des roses sur les hauteurs de Grasse, un cru altier et racé qui année après années possède une régularité remarquable. Cinq entités le composent il me semble: 

1: le Grand-Musigny qui est le plus haut et le plus grand - en taille, 6 ha - de tous et qui part des Amoureuses du dessus et des Borniques pour aller vers le Petit- Musigny. C'est celui qui est le plus important et qui comporte le plus de propriétaires. Puissant, sérieux et destiné à la longue garde, son substrat brun foncé à blond est assez calcaire et procure au vin une extraordinaire capacité de garde. On le décrit souvent comme le plus fin des grands crus car les dégustateurs l'associent au finage de Chambolle. C'est je crois une erreur car il est plus proche de la sève des Clos Vougeot du dessus sur une énergie plus froide et un fruité noir, un rien plus mat. Si Amoureuses est le parangon de Chambolle, Musigny en est sa face sombre et c'est ce qui fait indiscutablement de ce vin le plus grand de Bourgogne. Aucun cru ne parvient à son intensité qui combine l'énergie du Chambertin à la complexité de la Romanée Saint Vivant. Par ailleurs ceux qui ont eu la chance de le boire à plus de 50 ans savent qu'il n'a pas de vrai concurent capable de se bonifier aussi longuement. 

2: le Petit-Musigny est un monopole de 4 ha du domaine De Vogüe et personne en dehors de lui ne le vinifie et donc le déguste séparément. Il est un peu plus précoce et sa pente Nord-Sud se fait plus douce en même temps que ses terres un rien plus profondes. Il a toujours été considéré comme aussi qualitatif que le Grand. Comme en Epenots à Pommard, seule la taille de sa surface le désigne comme "petit". 

3: la Combe d'Orveaux, 80 ares classées en Musigny depuis plus de deux siècles au moins - sauf 22 ares reclassées dans les années 80. Il ne faut pas le confondre avec le premier cru "Combe d'Orveaux" qui le jouxte en haut et au Nord . Il s'agit de l'ancien "Clos Musigni Leroi" (sic in Lavalle) qui apparaît au milieu du 19 ième siècle et qui est aujourd'hui la propriété unique du domaine Jacques Prieur à Meursault. Il est parfaitement digne de son rang - en dépit de certaines critiques peu fondées à son endroit - car il préserve une intensité de matière parfois insurpassable sur des notes florales très caractéristiques. 

4: L'ancienne parcelle de Musigny du domaine Christian Confuron qui est situé en contre-bas des Musignys derrière le mur qui surplombe le Clos de la Perrière et les petits Vougeots + la minuscule parcelle de Musigny plantée par l'ancien régisseur des Hospices de Beaune, André Porcheret qui est au dessus et au nord de ce dernier sur... 1.5 ares! Des terres classées et non plantées pendant très longtemps et qui sont je pense de valeurs agrologiques moindres. Ces deux étonnantes parcelles ont été acquises récemment par un propriétaire canadien - Monsieur Tawse - et sont vinifiées par le très talentueux Thomas Dinel sous la direction de Pascal Marchand pour la maison Marchand-Tawse. Ces 10 ares de Musigny ont vu récemment leur écrin qui touche le Clos de la Perrieres à Vougeot se doter d'un mur magnifique en pierre de taille pour retenir les terres. Rien ne semble trop beau pour le Musigny! Mais suivez le de près car Thomas est un grand Winemaker de demain et entre ses mains tout est possible. 

5: le Musigny Blanc qui pour 30 ares se trouve au milieu et en haut du Grand Musigny. Replanté il y a une dizaine d'années dans une zone pierreuse - il était plus bas sur le coteau avant - il est pour l'instant vendu en Bourgogne blanc. C'est un blanc très original, puissant séveux et de longue garde. Une curiosité très rare car non produite depuis près de 20 ans. Il semble que le millésime 2015 pourrait le voir renaître... 

Les Bonnes-Mares 

  Les Bonnes-Mares font sans aucun doute partie des vins les plus riches et concentrés de Bourgogne. Dans la lignée des Renardes, Richebourg, Rugiens et Chambertin, le finage exprime sa nature puissante sur un corps athlétique et extrêmement dense. Sans doute est-il même l'archétype du vin parfumé, plein et séveux de la Côte de Nuits tant il exhalte la perfection des arômes conférés par un substrat argilo-calcaires mêlé de marnes blanches, complexe et unique. 

  Il mesure 15 ha 5 a 72 ca sur lesquelles deux zones morpho-géologiques sont entremêlées. Des terres rouges dans la partie basse du cru et certaines zones médianes hautes et des sols plus blancs dans les parties élevées plus marquées par les marnes. Situé en grande majorité sur Chambolle, entièrement orienté vers le levant, le grand cru fait également partie du finage de Morey pour 1 ha 51 a 55 ca. Les meilleurs domaines du cru produisent des vins qui assemblent les deux origines - comme Roumier et De Vogüe - mais certains petits producteurs vinfiant de 1 ha à 30 ares, produisent de petites merveilles d'équilibre et de raffinement: Arlaud, Bart,Groffier, Mugnier, Bertheau entres autres. Même si je pense fermement que le fait de citer ses noms ne peut faire oublier que le vigneron n'est en Bourgogne - comme ailleurs - que de passage et que seule l'origine mérite dans mes textes d'être réellement mise en valeur. Ce cru a longtemps été plus gibriaçois que Cambuléen dans son expression à une époque où le nom de Morey ne figurait dans aucun texte évoquant les crus d'élite du nuiton et où Chambolle était synonyme de vin vermeil construit sur la finesse par la grâce de son sous sol et de cuvaisons plus infusées qu'extraites. 

  Ce vin puissant et masculin n'évoque - pas plus que le Musigny au fond - la classe du finage de Chambolle dont le meilleur exemple est sans aucun doute Les Amoureuses, qui auraient pu largement être élevées au plus haut rang de l'appellation. Est-ce étonnant d'ailleurs si les deux grands crus de la commune occupent ses extrémités et son quasiment interpénétrées par les finages voisins? Non, à l'évidence. Bonnes-Mares est un vin de sève et de fougue, ultra serré, aux tanins formés mais jamais durs. Il est moins frais que le Musigny et n'a donc pas son côté fruits rouges très subtilement fraisé et ses notes délicatement florales. Non c'est un vin d'épices et de fruits noirs qui parfois confine à l'abastraction du pinot noir pour ressembler...à un Bonnes-Mares unique, ferrigineux, terrien, altier et terriblement séduisant. Grand vin des amateurs de crus de longue garde qui aiment plus les notes aromatiques secondaires complexifiées par le temps, c'est un vin cérébral qui demande du temps, de la concision dans le choix de son ouverture et une éducation du palais plus importante qu'ailleurs. On ne boit pas un Bonnes-Mares par hasard, c'est un vin qui se savoure comme on hume un très grand havane ou un grand cru du Médoc. Ne souriez pas, il a beaucoup plus à voir sur le plan de son harmonie et de sa "balance" avec un vin de Château Latour ou de Las Cases qu'avec un des crus qui le jouxte. Hors Classe.

Patrick Essa - 2018

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