Le Meursault Perrières

Publié le par Patrick Essa

Lorsque le vignoble fut classé « originellement » en Côte d’Or au début du 19ième siècle les plus grands crus d’aujourd’hui étaient déjà ceux qui étaient les plus en vues. Toutefois est-on bien certain que  les éléments qui ont servi à les classer correspondent encore à nos « canons » modernes?

   En fait rien n’est moins sûr.

   À une époque où les plants n’étaient pas greffés mais provignés, où les trois façons culturales positionnaient le travail du sol comme un simple toilettage de surface, où les fumures n’étaient que fort mesurées...les ceps donnaient peu et en particulier dans les terres pauvres des Dessus qui quasiment seules alors servaient à produire les vins « bouchés » après avoir avoir été transportés la majeure partie du temps sous bois. Feuillettes de 114 litres, pièces de 228 litres ou queues de 900 litres.

   Les marchands classaient donc les Crus en fonction de leur capacité à produire régulièrement des vins sachant voyager et/ou vieillir. Suffisamment « forts » pour ne point s’effondrer et donc issus de zones produisant avec constance des vins concentrés et équilibrés, seules conditions permettant de les préserver d’un vieillissement que l’on ne savait contrer que par la mèche soufrée, la fortification avec de l’alcool blanc, le coupage avec d’autres vins plus capiteux ou la préservation aléatoire du gaz carbonique instable.

   Ainsi vouloir comme je le lis souvent chez certains « exégètes » du vin,  croiser ces différents classements - Courtépée, Lavalle,le comité d’agriculture beaunois, Rodier, Ramain et quelques autres plus récents  - n’a que fort peu de sens pour éclairer ce qui se passe véritablement aujourd’hui sur le terrain. 

  Ces Vignes produisaient entre 15 et 25 hl par hectare sur des densités proches de 18.000 pieds dont parmi eux pas un n’avait le même âge en raison des fosses de provignage dont les branches couchées étaient sevrées du pied mère au fil des années. On produisait 3 à 4  grappes de raisins, on récoltait sur des échalas - paisseaux - et les Vignes étaient taillées en hauteur en forme de crochet pour capter la lumière et surtout, la reproduction de la « liane pérenne » se faisait quasiment uniquement sur un inextricable substrat  de racines entrelacées et mêlée  de la terre de l’endroit. Vraiment, nous étions très loin de l’emprunte d’un sol transparaissant dans les sucs des jus de raisin. Ineptie moderne destinée à sanctifier béatement et quasi exclusivement  - surtout naïvement - la composition propre du sol.

   Non! pragmatiques, vignerons, tâcherons, négociants et marchands payaient plus chères les terres capables de générer une rentabilité régulière en même temps qu’une qualité stable. Le nom du Cru étant réservé à moins de cinq cuvées par village. Parfois monopoles. 

   Ces évidences expliquent pourquoi les négociants qui - quasiment seuls - vendaient ses vins en bouteilles ou en les débitant en vrac, se servaient de classes de vins capables de par leur plasticité d’être référées à un Cru/climat complété par des approvisionnements - plus ou moins -voisins.

    Dès lors, qu’en est-il des premiers crus de nos temps ?

    Réunissent-ils les qualités essentielles de puissance et de tension qui signent les plus grands vin blancs issus du chardonnay comme on le pense aujourd’hui ou sont-ils simplement les héritiers d’un nom que la tradition a sanctifié sans jamais qu’aucune remise en cause ait pu en être faites? 

  En somme, est-ce que nos techniques de vinifications modernes compensent par leur capacité à se prémunir de l’oxydation et par la maîtrise des facteurs œnologiques les plus divers, le déficit de concentration et la baisse évidente en extrait sec qui caractérisaient ces vins autrefois? On les décrivait vineux et secs mais d’impression douce, avec du feu et un bouquet capiteux. A l’évidence l’alcool était un garant du bon vieillissement et l’absence récurrente de chaptalisation en ces lieux - une technique connue depuis le début du 19 ième - signait une vraie qualité « hors classe ». Ainsi en 1846 - déjà - Vergnette-Lamotte fustigeait l’emploi du procédé Chaptal après qu’en 1845 le congrès des vignerons de Dijon ait condamné sans appel le « sucrage ».

  Nous savons que les plants non greffés étaient pourtant moins alcoologènes - environ 0,8 à 1 degré en moins - et pourtant les relevés de Danguy évoquent des pointes à plus de 14 degrés. A l’évidence en année mûre - Les seules qui a l’époque qualifiaient une année de « grande »- ce Cru avait une incroyable capacité à capter la lumière. On commence ainsi à « visualiser » les Cru originels: 4 raisins par pieds, rendement de 15/18 hectolitres par hectare, plantation en foule, Vignes non greffées et provignées, trois « griffages » à la pioche par an, 14 degrés, pas de chaptalisation et ce qui va ravir les tenants des vins naturels: aucun intrant! Jeune ce vin devait être le meilleur « pet’nat’ » du monde! 

  Près d’un siècle plus tard, au moment du classement des appellations d’origine dans les années trente du vingtième siècle, Les décideurs des syndicats communaux - justes et forts inspirés dans la logique du classement des terres du village - en relation avec les fraîchement constituées AOC -  n'ont pas souhaité leur retirer la mention "Meursault" en des temps ou les consacrer grand Cru revenait à les nommer de leurs noms simples. On sait aussi que des groupes de producteurs d’obédiences différentes se sont farouchement querellés pour générer ces décisions. Cela fera l’objet d’une autre étude...

   Les Crus sont alors plantés en rangs rectilignes, travaillés au cheval sur une densité de 11.000 pieds, greffés sur des bois américains et vinifiés - comme naguère - En pièces de 228 litres.Leurs rendements moyens approchent désormais le 30/35 hl/ ha car les fumures et la potasse coûtent encore chers et car on ne maîtrise pas les maladies aussi finement qu'aujourd'hui.

 Les Perrières 

Les écrits qui se  penchèrent et se penchent  sur les facteurs qui génèrent son « évidente » supériorité  n'ont eu que peu de résonance car le secteur continue d'être positionné comme le meilleur des premiers crus, assez loin de son vrai rang de meilleur grand Cru après le Montrachet. De manière funeste cette classification générale bourguignonne le "minore" et fait fi de son incomparable caractère de vin de pierres, taillé pour la très grande garde, ciselé par sa nature unique et austère proche de l'ascèse gustative parfois.

   On le décrit souvent comme le grand Cru oublié, celui qui aurait dû accéder à ce rang  dans l'immédiat après guerre car sa réputation ancestrale l'a toujours positionné comme second après le "Vrai Montrachet". A t’il de nos jours encore cette capacité à dominer ses pairs alors que ses rendements moyens ont quasiment été multiplié par deux et demi, que sa densité de plantation a diminué de moitié et que sa zone de production est toujours aussi naturellement pauvre?

  Les murisaltiens bien entendu connaissent la valeur réelle de leur Cru et se fondent le plus souvent sur cette tradition orale ancestrale qui positionne le climat au même niveau que le "grand" Montrachet pour sa longévité et son originalité. Mais combien de dégustateurs savent qu'il en est en fait l'exact contraire stylistique? Ceux qui les dégustent côte à côte souvent.

  Autant le Montrachet s'exprime par une vinosité insurpassable, autant le Perrières est un vin tellurique, énergique, violent, à la sauvagerie quasi dérangeante, qui  déroute souvent lorsqu'il est jeune. Ce vin sans compromis est toutefois produit sur des secteurs assez divers qui marquent également la race formelle des crus qui en proviennent|.  

  Ainsi la "Grande Perrière" - située dans les Perrières du Dessous - qui fait suite aux Genevrières du dessus jusqu'à la grotte  de la "Porre et Piarde" donne t'elle les vins les plus civilisés du climat , assez proches au fond des "grands Genevrières" -  la partie haute de ce Cru - qui lui font face car plus opulents, plus sensuels et plus immédiatement accessibles que le reste du Cru . Les vins de cette zone livrent souvent une partition droite et pure qui s'assagit un rien plus vite que la partie haute du finage. 

  Le secteur est assez pentu et les terres blondes et caillouteuses qui composent son substrat calcaire ont une remarquable capacité à conserver de justes ressources hydriques tout en préservant le secteur des gelées. Les rangs de Vignes coupent ici le coteau dans le sens Est-Ouest et les parcelles sont encore de tailles honorables, allant de  25 ares à plus de 2 ha.

  La partie appellée "Perrières dessus" est plus morcelée car disposant de parcelles hautes et basses, avec des orientations variables, elle confère aux crus un côté rocailleux qui densifie la granularité de la texture et finit par imprimer une sensation quasi coupante sur la langue. vin de cailloux sur des terres maigres, vin sidérant de finesse évoquant les dessus du Chevalier ou la rigidité de la Goutte d'Or plus dense que lui, toutefois. Ce secteur pierreux comporte de nombreux murs et terrasses créés au fil du temps, gagnées sur le calcaire dur à force de ténacité. Des générations de vignerons ont œuvré ici plus qu'ailleurs pour faire naître ces Perrières d'altitude et il n'est pas étonnant que tout cela soit ancré dans la mémoire collective comme une sorte de combat contre les éléments naturels. Vins de pierres, mais sans doute aussi vin de sang et de labeur.

  En compagnie d’une bande haute nommée aujourd’hui « Aux Perrières » ce bloc surplombe des carrières qui ont fortement entaillés le coteau et qui rappelle que Meursault fut une zone de carrière importante. On extrayait ici le marbre de Bourgogne ou - aujourd'hui - pierre de Chassagne,il a largement été utilisé pour bâtir les murs et les maisons du bourg. 

  Le secteur le plus estimé est cependant le "plat des Perrières" dans les « Perrières du Dessous » juste au dessus de la "grande Charmes" du dessus, il englobe le Clos qui en est son épi-centre, la partie droite qui se poursuit jusqu'à la Grande Perrières et une langue de terre à gauche  qui va butter contre les Champs Canets de Puligny-Montrachet. L'endroit est quasiment plat, faiblement incliné à l'Est et bien entendu pierreux. Il ne se poursuit pas tout à fait jusqu'à la carrière située sous les Perrières du dessus car celle ci,comblée partiellement et laissant apparaître une barrière rocheuse  porte encore des Vignes d’appellation  « Bourgogne blanc ». Ces dernières séparent nettement le Dessus des Perrières des Dessous qui sont positionnés vingt mètres plus bas. Au fil des extractions le Cru a ainsi perdu deux hectares disparus en poussière.

   Les Perrières produits dans ce secteur sont sans conteste les plus grands Bourgogne blancs par leur intensité et leur bouquet unique mêlant les accents rocailleux d'une minéralIté vraie et cette incomparable touche grillée/mentholée que génère les beaux chardonnays d'équilibre subtil, comme si l'on sentait le rôti de raisins légèrement dorés et mouchetés de petites pioles grisées. Un vin indicible de pureté, il est au niveau de la complexité vineuse du Montrachet à cet endroit mais sur un registre moins visqueux, plus salin et iodé.

  Le Clos proprement dit a été créé par le Marquis de la Roche (ça ne s’invente pas!)  au début du dix neuvième siècle. Petit Enclos de pierre mesurant un peu moins d’un hectare, il est presque plat et constellé de petits cailloux acérés dont une notable proportion provient sans nul doute  du travail des anciens carriers qui martelaient le marbre un peu plus haut.  Il nait à une époque où les blancs sont bien loin de se hisser au niveau des vins rouges en terme de notoriété. La raison en est au fond très simple, sans anti-oxydant et sans tanin ils ne disposaient pas tout à fait de la même capacité à se conserver. Ils voyagent ainsi moins bien et sont un peu considérés comme les boissons spirituelles qui introduisent les Grands rouges. Observez d’ailleurs combien les grands Clos rouges s’affichent aux côtés de si peu de Clos Blancs. En fait un seul «  vrai Clos » premier cru, celui des Perrières car les autres sont plutôt des enclaves dessinées par des Murgers sinueux ou de création récente. Monsieur Grivaut est avant tout un commerçant qui a compris que s’offrir ce pré-carré en 1879 est assurément un coup de génie. Il créera d’ailleurs un autre Clos non loin de sa maison bourgeoise dans le village: le «  Clos du Murger »! Il poussera la facétie jusqu’à acquérir à Pommard un Clos Blanc - planté en rouge! - et du Clos de Vougeot. Un visionnaire.

   La terre appartient au vent et à la pluie et ceux qui la cultivent l'empruntent souvent à leur parent pour la transmettre à leurs enfants. Personne ne sait donc ce qu'est véritablement  ce cru car aucune permanence ne peut le définir hors la main de l'homme. Toutefois comme  les autres le changement imperceptible  de son profil général  est l'exact reflet des temps que nous vivons associé à la maniere dont nous les ressentons.

 

Superficie du Climat : 13ha 21a 17ca

  • Aux Perrières: 79a 90ca
  • Les Perrières Dessus: 3ha 76a 29ca
  • Les Perrières Dessous: 9ha 59a 50ca
  • 8ha 64a 98ca + 95a (Le Clos)
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