De la Maturité des raisins dans les vins de Bourgogne
Existe t'il un seuil idéal de maturité en matière de grand vin bourguignon? Et celui-ci est-il identique selon que l'on considère un vin blanc ou un vin rouge, une année précoce ou une année tardive?
La Bourgogne, région septentrionale, est assez peu régulière si l'on considère les potentiels en sucre qu'elle autorise à chaque millésime. Les dates de récolte s'échelonnent - dans la seule première décennie du 21° siècle - de la fin du mois d'Aout au début du mois d'Octobre! Et pour chacun de ces dix millésimes produits, pas un équilibre ne semble véritablement identique. Au point qu'il serait extrêmement difficile de classer ces dix années par paires.>
Avant ces dates et notre entrée dans un cycle climatique irrégulier - et même sans doute perturbé - il était de coutume d'évoquer des millésimes "tardifs" face à des millésimes "précoces". Pendant longtemps ces grandes orientations portèrent en elles une certaine justesse analytique. En coupant tôt dans la saison - dans la première quinzaine de Septembre - il était très rare de rentrer des vins en sous-maturité. En coupant dans la seconde moitié du même mois, les potentiels sucres avaient tendances à être plus mesurés, Mais ils étaient compensés par de belles acidités. Les extrêmes de ces dates étaient surtout synonymes de vins mous et «alcooleux» ou d'acidités tranchantes sur des vins aigrelets, bref de piètre qualité ou de problèmes à venir!
Ce cadre aussi simpliste fut-il est aujourd'hui obsolète et le vigneron doit être capable de faire face à des caractères climatiques extrêmement imprévisibles qui impactent très nettement les cycles végétatifs qui marquent la vigne. Ainsi par exemple avons nous coupé très précocement des 2007 et 2011 sur des potentiels alcooliques relativement faibles. Rentrer pinots et chardonnays dès le mois d'aout sans atteindre de valeurs supérieures à 12°5 est une des conséquences du changement météorologique évident qui marque notre zone tempérée.
Si les aléas climatiques on toujours existé, si les gelées, grêles et pluies diluviennes ont de tout temps accompagné la vie rude du vigneron, il est assez clair qu'ils se succèdent aujourd'hui à des rythmes accélérés. Le réchauffement de la planète augmente les caractères des millésimes au point qu'une année se fondant sur des valeurs "normales" est presque devenue quelque chose de "rare" aujourd'hui. Trois seulement au cours des onze dernières années - 2002,2005 et 2009 - peuvent prétendre dans les deux couleurs à cet "accessit". La norme devient l'exception et cet état de fait perturbe l'image juste que nous devons absolument avoir de la maturation de nos baies.
Celle-ci est de plus en plus difficile à être détectée, analysée et interprétée avec acuité car les indices qui nous permettaient de le faire ont eux aussi changé. Le simple regard sur la vigne qui renseignait par habitude sur l'approche de la fin de son cycle végétatif, ce petit temps frais au matin s'accompagnant d'un vent peu intense et cinglant, cette lumière plus blanche et claire et ces coups de vents intempestifs qui signent les prémices de l'Automne ne suffisent plus. Pas plus que la seule dégustation des baies, peaux et pépins, recoupées par des prélèvements plus pointus qui mesurent les différents paramètres dont nous avons besoin. Non, il faut encore plus aujourd'hui qu'hier une vraie intuition pour déterminer SA maturité car elle dépend essentiellement de la manière dont Les vignes se sont comportées selon les phases climatiques de l'année et bien entendu selon le travail qui y a été effectué.
Il me semble même que dans des millésimes compliqués comme celui que nous venons de passer (2012), les maturités physiologiques accomplies étaient impossibles à obtenir avec des systèmes de taille productifs, la vigne atteignant son seuil d'arrêt végétatif avant même que les baies soient suffisamment chargées de sucre. Ce phénomène d'arrêt de la "création" de sucre par la plante est sans doute celui qu'il nous faut être capable d'isoler. En observant par exemple que des vignes parsemées de mildiou sur les feuilles hautes par exemple, ne peuvent concentrer leurs raisins que de manière très imparfaite ou que celles trop chargées finiront par voir leurs fruits pourrir sans atteindre un stade phénolique optimal.
Je n'ai hélas pas de recettes miracles permettant de définir des observables avérés tout en donnant un cadre rigoureux pouvant être utilisé par les praticiens de la vigne. Mais il me semble qu'il est urgent de se questionner sur les relations causales qui connectent les pratiques culturales en fonction des déroulements climatiques variables que nous "subissons". Le climat est perturbé, notre viticulture va devoir très vite s'y adapter sans quoi nous boirons de plus en plus de vins aigrelets et mous...issus de la même année!