A propos du soufre et des sulfites dans les vins

Publié le par Patrick Essa

  Le vin est issu de moûts fermentés de raisins pressés. Les jus de goutte et/ou de pressurage initiaux vont se charger en alcool sous l'effet des levures qui dégradent les sucres qu'ils contiennent. Sans faire le moindre effort ce liquide sucré va de lui même se mettre à pétiller en se chargeant plus ou moins vite en gaz carbonique. Cette activité fermentaire " naturelle " peut se poursuivre spontanément et ...inéluctablement conduire à la production de vinaigre! Idéal pour la salade et les huîtres mais beaucoup moins réjouissant pour celui qui espère obtenir du vin, c'est à dire un liquide stable capable de magnifier les arômes du cépage, du terroir ou des deux à la fois.

   Boisson créée par essais/erreurs lors de probables innombrables expériences empiriques, le vin est à coup sur une "invention" humaine faites d'incertitudes et de progrès mais aussi de certitudes et de parti pris. Ainsi rien ne met plus en désaccord aujourd'hui les tenants de l'oenologie institutionnelle maîtrisée par la science et ceux d'une mouvance alter-biologique qui pensent le vin et les vignes comme de simples éléments aidant à une harmonie avec la nature et l'espace.  

    Est-il si surprenant de les voir alors user de procédés aussi différents que porteur de messages culturels divergents?  

    Souffrez que je puisse ici vous affranchir quelque peu sur la question du soufre et des différentes manière de l'utiliser en viticulture et en œnologie. Acceptez que j'essaie de dresser devant vous un état des lieux à bien des égares surprenant si l'on considère la matière brute considérée, aussi peu moderne que désespérément seule parfois pour aider les vignerons de toutes obédiences.  

 

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   Quand l'utilise t'on?

   Au début est le soufre DANS les vignes: que cela soit sous forme de soufre fleur sec poudrable ou sous une forme mouillable en dilution avec ou sans une autre matière active. Aucun vigneron de cette planète souhaitant récolter ne peut s'en passer. Et de ce point de vue il est clair que les doses et les épandages varient en fonction des choix culturaux opérés par les vignerons. Schématiquement le vigneron en lutte bio traitera 30 à 100% plus souvent que son homologue conventionnel mais en revanche il n'utilisera pas de produits systémiques véhiculés par la sève. Un choix à assumer, assurément une certaine vision de la vie aussi.

   Au milieu est le soufre DANS le cuvier lors des opérations de vinification. À la différence des vignes il peut être entièrement proscrit - dans sa forme sulfitique, le fameux sulfite  - et si ce choix est effectué il faut impérativement travailler sur des raisins impeccablement sains tout en s'organisant pour utiliser le CO2 dégagés par les moûts en fermentation pour  protéger ceux-ci de l'oxydation. Aventure possible et risquée en rouge, elle peut brillamment réussir grâce à des composants tanniques qui assurent une certaine stabilité à l'ensemble de la cuvée. L'usage de la thermo-régulation aidant, c'est une voie possible que se refusent à utiliser les tenants de l'oenologie classique qui sulfitent les cuves pour éviter oxydation, augmentation incontrolable des acidités volatiles et aussi permettre l'extraction des matières, la netteté des arômes et la recherche des couleurs. Sachez toutefois que ce sulfite ajouté se dégrade vite et que s'il subsiste dans le sulfite total du vin, sa vocation d'antiseptique et d'anti-oxydant est très faible à la fin des fermentations alcooliques car le seul sulfite actif s'exprime en sulfite LIBRE.

   À ce stade vous comprendrez aisément que les teneurs en soufre sont assez similaires quel que puisse être le process associé à une " philosophie " du vin lorsque démarre l'élevage. Les valeurs "sulfitiques" sont assez basses chez tous les producteurs car sinon les fermentations Malo-lactiques ne se déclenchent pas ou mal. Hors la quasi totalité des vins rouges réalisent leurs fermentations Malo-lactiques et près de la moitié des appellations blanches, Il faut toutefois se rappeler que la fermentation génère naturellement du soufre au cours de son action. À des valeurs faibles certes, mais bien réelles toutefois.

Par ailleurs un résidu soufré fort peu "maîtrisable" peut intervenir pour brouiller les cartes sans que le producteur ne le décide, c'est celui qui marque les baies qui ont subi des poudrages de soufre fleur trop intenses et surtout trop tardifs. Amis de la réduction lourde, souvenez vous que ce sont des restes de poudrage qui illumine une partie de votre minéralité. CQFD

    Enfin le vilain des vilains soufre est le soufre DANS le vin, celui dont usent les "Al"-chimistes soucieux de protéger leurs crus contre l'oxydation. Ajouté en solution diluée dans de l'eau distillée - le fameux SO2 - il permet de lutter contre le vieillissement prématuré des arômes frais. Sans lui il faut accepter que le vin soit couvert avec du gaz carbonique. Cela rend les bouteilles fragiles et capricieuses mais cela peut plaire aux amateurs de vins élevés "courts", friands et souvent même perlants.  

    Sachez aussi que le vin blanc n'ayant pas réalisé sa Malo est instable et qu'en dehors d'un sulfitage élevé et/ou d'une filtration très forte - dites stérile - il conservera sa nature fougueuse et aléatoire pouvant le conduire à pétiller sans crier gare. Les vins possédant en plus des sucres résiduels augmentent tous cette incertitude.Ils sont donc naturellement et obligatoirement plus soufrés que les autres. Sinon c'est l'aventure imprévisible sous verre.  

  In fine, à tous ceux qui diabolisent - parfois bien naïvement - cette substance "dopante" il convient de signaler que pas un producteur ne fait SANS si l'on considère l'ensemble du processus allant des vignes au verre. Le vigneron conventionnel en use plus durant les vinifications et l'élevage, le tenant d'une vision bio augmente les fréquences d'épandage durant les traitements viticoles... Pas un ne peut négliger la substance, pas un ne possède de substitut efficace pour imaginer pouvoir dans un avenir proche l'éradiquer et surtout en dehors des discours idéologiques il est assez évident que bien peu sont ceux qui acceptent et accepteront de perdre leurs raisins ou d'observer leurs bouteilles se  faner prématurément.

 

    À bon entendeur...

 

  Patrick Essa - MAJ le 25/11 /2014

 

 

A lire pour les bases scientifiques

http://fr.wikipedia.org/wiki/Sulfite

Publié dans Techniques

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E
Monsieur,<br /> Est-ce qu'on trouve de vins blanc à Puligny Montrachet qui ne font pas la fermentation malo-lactique ???<br /> Merci pour votre information<br /> Très cordialement
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B
Très intéressant cet article. Je n'ai plus de commentaires car les lecteurs les ont fait à ma place. Merci.<br /> Pierre Benveniste
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J
Bonsoir Patrick<br /> <br /> "le vin blanc n'ayant pas réalisé sa Malo est instable et qu'en dehors d'un sulfitage élevé et/ou d'une filtration très forte - dites stérile - il conservera sa nature fougueuse et aléatoire pouvant le conduire à pétiller sans crier gare"<br /> <br /> je fais du vin en mon nom depuis peu, mais je ne filtre pas, les malos ne sont pas faites, je bouche entre 15 et 20 de libre avec des totaux max de 70 et jamais eut de probleme jusqu'alors!<br /> le 2014 sera mis en bt samedi prochain, 50 de total, 22 de libre...
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P
Tu es gonflé! Mais tu assumes. Cela dit sur des vins fortement acides tes chances sont meilleures.-))
A
<br /> Pour une appoche historique du soufre en oenologie :<br /> <br /> http://vitineraires.blogspot.fr/2014/11/je-soufre-en-silence_54.html<br />
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J
des vins fortement acides, comme tu y vas! mais oui le chenin a une acidité naturelle assez haute et ce qui fait tout son charme et sa digestibililté, et ce qui permet certainement aussi de "jouer" plus sereinement
L
<br /> Bonsoir Patrick,<br /> <br /> <br /> j'ai lu avec grande attention ton article qui est, il faut le reconnaître, à la fois bien mené et fort technique et destiné (à mon avis) davantage aux professionnels qu'aux amateurs (bien<br /> que le point soit souvent évoqué dans les dégustations de vins jeunes).<br /> <br /> <br /> Ma première interrogation concerne les vins primeurs (type Beaujolais Nouveau) : ces vins, si je te suis bien, n'ont a priori pas besoin des deux dernières interventions, puisque par vocation ils<br /> sont censés se boire légèrement perlés et dans le courant de l'année. A quoi serait-il bon alors de les soufrer ?<br /> <br /> <br /> Ma deuxième interrogation est en rapport avec une discussion assez récente que j'ai eue avec un jeune vigneron d'une commune mitoyenne à celle où tu exerces : celui-ci m'affirmait avoir<br /> sensiblement réduit son apport en soufre lors du travail au chai, parce que l'épandage fait à la vigne ("Au début est le soufre dans les vignes") permettait de retrouver des traces<br /> intéressantes et moins agressives dans les jus et par conséquent l'autorisait à être moins interventioniste ! Quel est ton avis sur ce point ?<br /> <br /> <br /> Troisième question : que penser des vignerons qui affirment haut et fort n'ajouter qu'une goutte de soufre  (par bouteille, je suppose) lors de la mise en bouteille ?<br /> <br /> <br /> Enfin, une trop grande utilisation de soufre, outre le fait qu'elle est nocive pour l'homme, apporte soi-disant des arômes d'oeuf pourri aux vins ! Dieu merci, je n'ai jamais rencontré<br /> ces sensations odieuses : à côté le géranium, c'est de la rigolade !<br /> <br /> <br /> Voici des questions qui éveillent ma curiosité, parce que rencontrées sur des salons ou dans des caves, et qui me laissent parfois perplexe.<br /> <br /> <br /> LES SENTIERS<br />
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P
<br /> <br /> Bonjour sentiers,<br /> <br /> <br />   Toujours pertinent à ce que je vois. Alors dans l'ordre:<br /> <br /> <br /> 1/ les Bojo Novo sont sulfités à des doses modérées car ils conservent du gaz carbonique et sont bus en principe dans l'année.<br /> <br /> <br /> 2/ Une goutte de SO2 par bouteille suffit amplement à protéger un vin rouge ou blanc. Peu de vignerons mettent plus. Un argument qui n'en pas un en fait! Cela dit ce qu'il faudrait connaître<br /> c'est la part de soufre total - dégradée dans le vin durant vinif et élevage - et celle libre qui protège de l'oxydation. Sulfiter le jour de la mise est par ailleurs une erreur grossière.<br /> <br /> <br /> 3/ L'odeur d'oeuf punaie est parfois constatée durant l'élevage. Cela s'appelle du mercaptan ( h2s) et constitue une évolution de la réduction lourde.En principe un défaut lourd qu'il faut<br /> corriger avant mise par adjonction de cuivre, soutirage à l'air ou incorporation de lies frfraîches.<br /> <br /> <br /> Bonne année,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Patessa<br /> <br /> <br /> 3/<br /> <br /> <br /> <br />