De la vigne au verre: la Filtration des vins?

Publié le par Patrick Essa

De la vigne au verre: la Filtration

 

 

Une des ritournelles revenant le plus souvent dans le monde du vin est le fameux " ni collé, ni filtré ". Il résonne souvent comme un acte militant qui signale que le vigneron cherche à ne pas dépouiller le vin afin qu'il conserve toutes ses qualités. En somme il cherche à lui conférer plus de matière et surtout des arômes plus intenses. C'est un choix qui peut se montrer judicieux et avec lequel il est permis d'obtenir d'excellents résultats mais il est bien entendu soumis à une mise en œuvre spécifique qu'il faut impérativement maîtriser. 

 

  Cela dit, s'il fonctionne, pourquoi user de process visant à clarifier la turbidité des vins?

 

 

 Y aurait il de mauvais professionnels interventionnistes face à de grands artistes doués d'une forme de génie leur conférant une plus grande adresse lors de cette opération visant à éclaircir? Évidemment non. Sauf à accepter que le vin soit trouble et marqué par un voile nébuleux à sa naissance, le vigneron sait très bien qu'il lui faut obtenir une matière sans particules fines en suspension. Il y va de la netteté aromatique de ses crus et surtout de leur précision à la dégustation mais aussi de leur capacité à bien vieillir dans le temps. Ces constats sont toutefois à moduler en fonction de la couleur des crus.

  Les vins rouges chargés en tanins et colorés supportent visuellement une turbidité un peu plus élevée et un léger dépôt se faisant sous forme de "pastille" dans le creux de l'épaule du flacon. Je crois empiriquement que leurs tanins les prémunissent quelque peu contre les évolutions rapides et admettent une turbidité un peu plus forte. Toutefois il me paraît assez "clair" qu'un excès de nébulosité gâte irrémédiablement la finesse et la subtilité que confère le terroir d'origine aux vins. Dans touts les couleurs.

 

 

  Comment faut il procéder alors pour que, quel que soit le process de filtration ou de non filtration, les vins soient équilibrés, marchands et capable d'évoluer harmonieusement?

 

 

  Pour le vinificateur cherchant à faire abstraction de collage et de filtration, le jeu consistera à affiner les vins par soutirages plus ou moins réguliers afin de se séparer progressivement des bourbes et lies qui ne manqueront pas de se former au fond du contenant. Cela demande du temps, des caves fraîches et des soutirages doux qui sur la durée séparent le bon grain des lies fines de l'ivraie des bourbes lourdes.

  Il faut être près à perdre un peu de vin à chaque opération et à voir la cuvée se dépouiller par la seule force de la sédimentation. La mise en bouteille s'effectuant en général après - au minimum - 16 à 18 mois d'élevage, la fraîcheur du lieu de stockage est alors prépondérante car le froid aide les lies à se déposer au fond des contenants, seul moyen fiable avec le sulfite d'obtenir une juste clarification si l'on ne souhaite pas user d'enzymes de clarification. La turbidité se mesurant avec un indice allant de 0, parfaitement clair,  à 100 parfaitement opaque, Il est permis avec ce procédé de se situer entre 6 et 12, ce qui est quasiment imperceptible à l'œil non averti.

   Si le choix de ce premier procédé implique, dans les règles de l'art, des lies fines et donc des raisins initiaux sains et parfaitement triés à la vigne, il peut aussi être celui d'un vigneron récoltant sans tri et débourbant "très clair" avant fermentation alcoolique et usant parfois même d'un collage sur moût pour obtenir une matière première "propre". Cela revient à dépouiller alors le vin avant de commencer à le nourrir grâce aux lies lors de l'élevage. On pourra alors " ne pas filtrer " et mettre en bouteille plus tôt...et mentionner le fameux " mis en bouteille sans collage ni filtration" ! Vous me suivez?

 

   Si l'on décide de coller sans filtrer car après élevage le vin se présente peu trouble et que l'on souhaite simplement polir son grain tannique ou chercher - dans les blancs - une brillance plus affirmée, il faut encore observer les effets de ce collage après en avoir choisi le mode. Leur effet éclaircissant est plus ou moins efficace et dépend des objectifs que l'on se fixe mais en général on abaisse la turbidité entre 3 et 6 sur notre échelle de 100.  Je vous renvoie aux appendices de fin de texte pour aller plus loin dans vos connaissances sur ce sujet.

   Ce procédé est assez proche de celui qui consiste à filtrer " lâche " sans effectuer de collage. De même que lui il convient parfaitement pour la plupart des rouges qui sans se dépouiller préservent la meilleure part de leur matière initiale. Les blancs peuvent en souffrir au niveau de leur aspect et de leur brillance, mais assez peu, voire pas, sur le plan aromatique.

  Éduquer le consommateur est sans doute ici déterminant afin qu'il sache que ces vins ne risquent pas d'évoluer et qu'un léger trouble n'est pas un défaut.

 

   Coller et filtrer n'est en rien rédhibitoire pour la qualité des vins et il faut savoir que de nombreux grands crus naissent après ces interventions. Toutefois celles-ci doivent être réalisées à la suite de process adaptés et/ou en fonction du caractère final des vins avant les dernières opérations qui conduiront à la mise. Il s'agit de s'adapter au caractère des jus en élevage, en observant leur profil depuis leur récolte.Il est alors possible de viser des valeurs de turbidité inférieures à 1 mais également de se retrouver pr choix entre 1 et 4. 

  Ainsi leur concentration initiale aura t'elle une grande influence sur ces choix tout comme le niveau d'amertume constaté durant leur élevage et les valeurs protéiques qui les marquent. Par ailleurs les opérations de clarifications ne s'additionnent pas forcément.

   Un faible dosage des colles associé à une filtration " grossière " dépouillera parfois moins que moults soutirages ou une seule filtration serrée ou encore un collage sévère. Comme vu plus haut l'adéquation entre le débourbage avant mise en contenants de fermentations et l'éclaircissement final sera fondamental pour obtenir IN FINE un jus précis, fin, odorant et équilibré.

 

    En somme, une fois encore, les phrases réductrices lues et entendues à longueur de temps ne doivent pas perturber l'amateur avisé qui souhaite acquérir de grands vins qu'ils soient filtrés, collés, les deux ou pas du tout, chaque voie étant possible. Ne jamais se laisser aller eux explications simplistes qui toutes usent de codes censés être " lisibles " et très - trop - souvent destinés à jeter de la poudre commerciale aux yeux. Chacun sait ce que son client veut entendre, il me paraît plus sain d'imaginer ce qu'il a envie de retrouver dans son verre en l'informant sans artifice... Et en toute transparence!

 

   À bon entendeur!

 

Patrick Essa - Le 19 Janvier 2014

Copies et citations interdites sans autorisation de l'auteur.

 

Pour aller plus loin:

 

Types de collage oenologiques:

http://www.dubernet.com/wp-content/uploads/2012/07/collage.pdf

 

Types de filtrations oenologiques:

http://www.vignevin-sudouest.com/publications/fiches-pratiques/filtration-vins.php

Publié dans Techniques

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S
<br /> Bonjour<br /> <br /> <br /> Je prends toujours plaisir a lire ces commentaires techniques et passionné !<br /> <br /> <br /> Dans le cas des réacidifications, et plus spécialement sur le millésime 2003 avec une canicule que personne n avait prévu, ou en tout cas pas suffisament a l avance, peut elle être évitée ?<br />
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