Identifier un vin à l'aveugle: Important?
La plupart des degustateurs reconnus ont cette capacité qui semble innée de reconnaitre l'ensemble des vins qu'ont leur sert en degustation aveugle stricte. Ce fait avéré chez quelques unes de mes connaisssances ne manque jamais de me questionner, faut-il maitriser l'art de l'identification pour être un solide dégustateur?
Ma réponse va sans doute vous surprendre: je ne le pense pas.
En effet quelques éléments viennent à mon secours pour étayer cette affirmation quelque peu péremptoire. En premier lieu ne se reconnait vraiment que ce qui a déjà été dégusté car sinon il s'agit plus d'un acte déductif qui fait référence à la mémoire sensorielle. Une sorte de mise en œuvre intellectuelle qui croise des paramètres divers et laisse une large part à l'intuition. Pas de quoi mettre alors en avant une véritable compétence associée à un savoir GUSTATIF constitué.
Ensuite il semble assez évident que ce jeu de devinettes est mis en place pour de mauvaises raisons. Que cela soit la sportivisation de l'acte du bien boire ou la justification absolue - et si simple et confortable - d'un sérieux validant la qualité d'un jury, dans les deux cas nous sommes face à des principes qui avalisent des choix intellectuels n'ayant aucunement pour objet le vin lui même. Car celui-ci n'est que le vecteur qui permet de justifier une démarche avant tout centrée sur le dégustateur.
Dès lors dire que celui qui reconnait un cru est un bon dégustateur revient à signifier que celui qui connait la composition des footballeurs de Saint Etienne qui ont perdu la finale de Glasgow est un bon joueur de football ou mieux un grand entraineur. Croyez moi les "Thierry Roland" du vin sont nombreux !
Finalement le concours de meilleur sommelier du monde - que je critique souvent pour d'autres raisons - qui avalise aussi une compétence à sélectionner un vin est encore assez juste puisqu'il tient compte de la capacité à servir un cru selon une technique précise et avec la volonté de rationnaliser un accord. Il n'empêche cette forme de service et de tasting est centrée sur des critères aromatiques, ceux qui sont les plus simples à caractériser et à décoder, ils ne sont pas de nature à percevoir le vin en profondeur dans l'ensemble de sa complexité.
Combien de dégustations aveugles ne sont menées que par des palais traquant l'imperfection oragnoleptiques et la non adéquation à des critères personnels liés à de cultures spécifiques. Et par contre-coup combien de vins ne reconnaît-on que sur la base des effets que les élevages laissent sur eux. Ainsi un Viré-Clessé levrouté par exemple est il perçu de la même façon en aveugle stricte par un producteur - ou un amateur - de Chablis que par un vigneron de sa région?...Forcément sauf cas rare il y aura une belle distorsion. Humainement c'est inévitable. Dès lors s'il est permis de le "reconnaître" selon son goût, il n'est rien moins évident que d'imaginer qu'il puisse être évalué selon les mêmes codes d'excellence. Où est l'intérêt de le reconnaître pour en définir la qualité dès lors?
Observez combien les crus se "singent" en adoptant pour les degustateurs reconnus et influents les mêmes codes. Mêmes levures, mêmes bois, mêmes vinifications - ahh la vendange entière en ce moment! - et au fond même désir de plaquer aux réalités commerciales en les rationnalisant par des biais simplificateurs à l'endroit de ceux qui évaluent sans voir tout en étant eux même lus et vus à visages découverts.
Finalement on a jamais mieux vus et identifiés les vins que depuis qu'ils sont tastés dans un anonymat revendiqué, voire proclamé...est-ce vraiment un paradoxe?