Nuits Saint georges: Les premiers crus du finage de Premeaux
Les Premiers Crus du finage de Premeaux
Ecrit par Patrick Essa, vigneron à Meursault - 2018
Nuits est une belle qui ne se livre pas au premier venu. Bourgade sauvage, repliée autour du petit Meuzin qui la traverse, ses rues étroites et son centre qui s'étire n'en font pas le lieu idéal de promenades associant marchés et villégiature. Ancienne cité médiévale, posée aux marches du royaume, elle fut fortifiée et ceinte de hautes murailles défensives durant plusieurs siècles au moyen âge. Nombre de combats sanglants eurent ensuite raison de ce Clos citadin austère, ce qui sans aucun doute forgea la trempe de nuitons féroces en affaires et robustes bretteurs au moment de défendre leurs intérêts et plus que tout... leurs vins.
"Patrie" du plus grand défenseur du Bourgogne moderne - Henri Gouges, qui, à bien des égares, a défini seul contre - presque - tous ce qu'est aujourd'hui le cru bourguignon - Nuits Saint Georges est le lieu ou se sont écrit les plus nobles pages de la viticulture des appellations d'origines. Défenseur rigoureux, acharné et fédérateur. l'ancêtre de la famille Gouges était aussi respecté qu'influant et désintéressé, son génie fut d'avoir compris avant tout le monde que le vin était à relier à son lieu de production sur un plan légal car il lui conférait une vraie identité gustative et un passeport pour l'éternité. Il osa même revendiquer la mention de simple premier cru à son Saint Georges dont il était pourtant l'un des principaux producteurs et qu'il avait écoulé en grand cru - voir étiquette - durant quelques années.
N'oublions pas et surtout n'imaginons pas autre chose que cette simple évidence: le Bourgogne pré-phylloxérique était quasi entièrement un vin d'assemblage, composé à partir de sélections de vins faites "à la tasse" et correspondant à une qualité générale donnée, construite par l'éleveur très majoritairement négociant. Le vin de cru est une idée alors marginale réservée à quelques climats sans même que l'on puisse être certain aujourd'hui que les flacons aux origines revendiquées qui subsistent soient parfaitement authentiques.
Après les ravages du funeste puceron, au début du 20 ieme siècle les vignes post-phylloxériques replantées en règes rectilignes sont à nouveau en production et livrent -grâce aux portes greffes américains - des vins plus abondants sur les meilleurs climats conservés. Les ordinaires ont beaucoup reculé et dans le contexte dynamique d'après la première guerre mondiale il est nécessaire de mettre bon ordre à la diffusion de ces vins qui prennent des noms fantaisistes et s'autorisent parfois à usurper le nom de voisins prestigieux. Ces usages peu loyaux et très inconstants agacent les producteurs les plus consciencieux qui, alors, souhaitent redonner une image qualitative à une Bourgogne viticole quelque peu minée par les tricheries et fraudes et plus encore par les infâmes coupages dits " améliorateurs".
Le vigneron - et l'idée est novatrice – veut alors contrôler la diffusion de son vin en maîtrisant ses origines et vinifications. La Confrérie du Tastevin naît dans ce contexte et ceux qui l'ont créée seront en première ligne pour défendre la notion de cru issu d'un seul terroir. Prenant ces premiers quartiers au château de la Berchère placé sous le village de Nuits elle se révélera - par les hommes l'ayant fondées - être le ferment indispensable à la renaissance moderne du Bourgogne.
Nuits, village de 5000 âmes, a le vin chevillé au corps et pas une des maisons longeant le Meuzin ou s'en éloignant ne saurait être bâtie sans caves ou celliers. Le négoce y trouve une place suffisamment forte pour s'épanouir au dix neuvième siècle et la propriété vigneronne s'étoffe au cours du vingtième en lui apportant un contrepoint bienvenu mais surtout une admirable rigueur et un sens aigu de l'observation de ses climats. Ainsi aucune terre n'est je crois mieux analysée que celle-ci à cette époque où ne sont classés que les sols le méritant réellement avec très peu de crus regroupés ou d'extensions...à vrai dire pas une qui soit significative! Il en résultera un vignoble constellé de crus aux modestes proportions, ne dépassant quasiment jamais les dix hectares. Et tous positionnés sur des portions de terre historiquement identifiées. La volonté des hommes a ici plus qu'ailleurs montré son sens de l'équité et de la modération.
Ce vignoble n'est pas - comme on le mentionne avec une récurrente platitude - découpé en deux tranches Nord et Sud, selon un style fin ou puissant. Ce non sens réducteur ne résiste pas à l'observation du vignoble depuis la plaine, depuis le Château de la Berchère en particulier ou encore de la zone gallo-romaine des Bollards. Si effectivement, la vallée du Meuzin entaille la Côte et sépare deux coteaux distincts aux caractéristiques géologiques diverses - lire à ce propos les analyses de ces secteurs dans la suite de mon travail - il est judicieux d'observer 4 mouvements de pentes singuliers.
Le premier prolonge au Nord le large coteau de Vosne, il est coiffé d'une végétation rase et hirsute qui s'aplanit nettement en son sommet et qui de manière opportune laisse les parties basses et humides de son bord Nord-Est à sa voisine de Vosne. Le second à la sortie de Combe du Meuzin est contigu des maisons, faiblement incliné et composé de dépôts alluvionnaires. Le troisième borde la route de Chaux qui serpente sur une zone escarpée et se prolonge selon une bande assez large jusqu'au finage de Premeaux. Les carrières y font leur apparition et indiquent un étage élevé formé du calcaire de Comblanchien. Il n'est pas sous influence alluvionnaire mais est en revanche entremêlé d'éboulis calcaires. Le dernier compose le coteau de Premeaux, pentus au Nord et quasi plat au Sud, surplombé par des zones de carrière qui l'ont un temps minoré car on imaginait - à tort ou raison - que les poussières de pierre nuisaient à la qualité des raisins. Il est œuvre de l'érosion qui a marqué son coteau en lui dessinant des vagues formant Adroits et Envers, creux un peu sombres et pentes lumineuses.
De ces quatres blocs, je retiens des climats aux formes variables qui avec une belle constance déjouent les normes que l'esprit des hommes leur impose. Ainsi des secteurs élégants émaillent certaines zones plutôt fermes, inversement la rudesse de certains lieux-dits dément parfois une position qui est supposée apporter une naturelle délicatesse. Ces vignes sont à envisager climat par climats, où ne révèlent rien car Nuits est une belle qui ne se livre pas au premier venu...
Lorsque l'on observe le coteau Sud du finage de Nuits depuis la plaine on est frappé par son hétérogénéité et surtout par les variations qu'accusent ses pentes aux abords de sa partie sise sur le territoire de Premeaux. Depuis les Didiers Saint Georges au Nord jusqu'au Clos de la Maréchale au Sud, pas un climat ne ressemble en taille, en forme et en inclinaison à ses voisins et fait plus étonnant encore, ils semblent tous avoir des identités gustatives singulières qui ne les rapprochent nullement entre eux. Ainsi rien ne ressemble moins à l'Arlot qu'un Forêts et bien malin qui trouvera des similitudes entre les Didiers et le Clos des Argillières!
Premeaux - "premières eaux" selon un rapprochement incertain effectué par Courtépée il y a deux cents ans - possède toutefois des éléments stables au niveau de son substrat qui apportent une probable logique explication à la souplesse qui caractérise ses vins. Mais est ce qu'un grain tannique poli découle uniquement des analyses géologiques observées sur le terrain? Assurément pas complètement car ici le substrat est sombre, marqué par des argiles rouges - chargées d'oxyde de fer - et quelque peu collant, en général ce type donne des vins un peu fermes et longs à se faire... Hors cela n'est que partiellement le cas pour les onze premiers crus qu'il porte.
Vignoble entaillé de petites combes comme en Vallerots cette zone Sud est sous une influence éolienne modérée et régulière qui assure un état sanitaire idéal, d'autant que ses pentes - régulièrement supérieures à 10% - drainent parfaitement les parcelles et évitent la pourriture tardive qui gâte les arômes et amoindri l'énergie des crus. Commune sous l'influence actuelle de plusieurs sources - en Arlot, Saint Marc et Seuil - elle s'est construite sur des pentes creusées par leur réunion en un cours d'eau nommé Courtaveaux qui a façonné le relief et modelé les climats.
L'angle de vue qu'offre aujourd'hui la Nationale 74 est peu intéressant car il ne montre pas la faible largeur de ce ruban de Côte et surtout ne fait pas apparaître ce relief tourmenté qui associe vagues de terrain dans le sens Nord Sud, fond de carrières comblées, terres remaniées et arasées et mise en forme mécanique récente. Premeaux est une terre façonnée par l'eau et les hommes mais aussi le seul finage portant plusieurs premiers crus pouvant prendre le nom d'une commune voisine. Si l'on exclu les Didiers qui est un monopole des Hospices de Nuits et le secteur Aux Perdrix - Terres Blanches, les autres premiers crus sont tous des Clos à forte historicité. Sans doute faut il y observer une volonté de définitivement entériner leur caractère affirmé.
Essayons ici de déterminer quels pourraient être les éléments qui les personnifient.
Les Didiers Saint Georges: petit cru - 2,42 ha - vinifié intégralement par les Hospices, il doit être considéré comme le naturel alter-ego des Saint Georges dans le cadre de la cuvée Fagon qui n'est composée que des vieilles vignes du cru. Les cuvées Cabet et Duret se situent un bon cran en dessous en dépit de leur évidente race. C'est un vin puissant, riche et de très longue garde. Je vous renvoie au texte détaillé que j'ai écrit sur le Saint Georges de Nuits.
Le Clos des Forêts Saint Georges: comme le veut la tradition du 19 ieme siècle le lieu-dit Les Forêts est devenu un Clos. Un de ceux - nombreux - qui n'a jamais été ceint d'un mur le délimitant! Agrégation de plusieurs parcelles de l'ancien climat les Forêts et de probables parties hautes et basses de diverses lieux-dits de valeurs moindres, il passe de 5 hectares en 1827 à 7,22 aujourd'hui. Sa qualité est évidente et le domaine de l'Arlot en a le monopole, il en tire un grand et un second vin (les Petits Plets), ce qui entraîne une qualité remarquable pour le premier qui est encore sous l'influence des Saint Georges voisins dont il n'usurpe pas la mention. Plus riche que les Corvées et surtout plus charpenté grâce à sa trame puissante marquée par des arômes sauvages - et durant de nombreuses années par une vinification en vendanges partiellement entières - mais également finement fruités. Un vin de noble lignage qui n'est pas trop onéreux et accessible car le domaine en produit près de 30.000 bouteilles chaque année.
Le Clos des Corvées: La création du Clos des Corvées, morcelé au Moyen Âge, est l’œuvre de deux personnages : le fondateur de la maison de négoce Geisweiler, au XIXème siècle, et Denis Joseph Gouachon, au début du XXème siècle. La parcelle mesure aujourd'hui 5,2 hectares et constitue un monopole, celui du domaine Prieuré-Roch qui le produit depuis la fin des années 1990. Cultivé selon des règles naturelles et bio-dynamiques, il est marqué par de faibles rendements et un équilibre très original qui s'affranchit d'un soufre trop présent. Vin en général peu robé, très fruité et parfumé, il est peu alcooleux mais terriblement séducteur et d'une accessibilité rare. Douceur de texture et notes d'églantine et de fraise des bois marquent ce vin soyeux à l'impression aromatique diaphane de prime abord mais d'une réelle persistance complexe. Un cru très singulier et rare.
Le Clos des Corvée Pagets: à côté du précédent et englobant le Clos Saint Marc, ces Corvées donnent des vins qui pourraient se rapprocher de lui mais elles ne sont pas vinifiées en général selon les préceptes du domaine Prieuré Roch. Les vins sont tout aussi bons mais en général plus corsé et un peu moins élégant. Ils revêtent une forme classique très respectable et se montrent capable de longuement vieillir. Les vin du domaine Arnoux-Lachaux vaut la peine d'être découvert pour son allonge et sa densité.
Le Clos des Argillières: issu de l'ancien lieu-dit Les Argillières il est aujourd hui assez morcelé et plus de dix propriétaires se le partagent. Sur un sol argileux et assez profond, il produit un vin profond et charpenté qui doit être attendu. Sans le raffinement de ces voisins il peut toutefois s'affiner au cours d'un heureux vieillissement. Il évoque un peu le grain des Procès et Pruliers et constitue je crois le plus nuiton des climats de Premeaux. Dureuil Janthial et Christophe Buisson se partagent une remarquable production sur ce cru.
Le Clos de l'Arlot: monopole du domaine éponyme, il est de manière très original partagé entre blancs et rouges et réussit avec autant de classe en chardonnay en constituant je pense le meilleur vin blanc de la Côté de Nuits car situé sur un sol calcaire fort proche de ceux de la Côté des Blancs. Mesurant 5,32 ha, il est surplombé par trois anciennes carrières qui ont été comblées et replantées pour générer un second vin assez peu consistant mais plaisant. Création de la famille Viennot ce Clos est né d'un ancien lieu-dit nommé Ez Arlot il y a environ 150 ans. Le blanc est un vin parfumé et assez onctueux qui ressemble aux parties basses du Morgeot de Chassagne. Le rouge est plutôt délicat, fin et a longtemps été vinifié en vendanges entières, ce qui lui apportait beaucoup de fraîcheur. Ce n'est plus le cas depuis quelques millésimes hélas.
Le Clos Saint Marc: Il est situé à l'intérieur du premier cru les Corvées dans une partie qui jouxte les maisons. Incliné vers le levant selon une pente douce . Il est constitué d'un sol brun, profond, mêlé à une couche de marnes blanches qui permet aux ceps de trouver en toute saison une parfaite alimentation hydrique. Cru tardif qui naît à la fin du 19 ieme siècle grâce à la patience d'Arsène Perrier, il apparaît plus sur le plan stylistique comme une partie des Corvées que comme une historique entité. Il mesure 0.93 ha et ses 4000 bouteilles annuelles ont la personnalité des crus argileux, entre robustesse des tanins et arômes intenses et frais. Le domaine Rion est aujourd'hui en charge de cette parcelle monopole. Le vin est très bon.
Le Clos des Grandes Vignes: petit cru situé du mauvais côté de la nationale. Sa meilleure partie qui mesure 2.19 hectares est plantée sur une inclinaison Sud qui lui apporte une maturité assez solaire. Vin parfumé et assez fruité, il n'a pas la classe des autres crus de Premeaux mais ne démérite pas car il a été vinifié pendant quelques temps - une petite dizaine d'années - sous la férule du talentueux Etienne de Montille au Château de Puligny et est désormais - depuis le millésime 2012 - entre les mains de Louis-Michel Liger-Belair. Le cru possède don aujourd'hui environ 1,2 hectares de vignes en production avec des replantations en cours pour le pinot et 30 ares de chardonnay sur-greffés par Etienne de Montille en 2010. Nul doute que son avenir qualitatif est des plus radieux...
Clos de la Maréchale: ancien Clos des Fourches, c'est un vrai Clos ceint de hauts murs et d'une régularité morpho-géologique parfaite. Cet idéal rectangle de près de 11 hectares qui regarde le levant sur une pente douce a été sans doute remis en forme il y a deux siècles et il a désormais une remarquable unité. Naguère rustique, voire âpre, long à se faire lorsqu'il était vinifié par Faiveley, il s'est beaucoup assoupli depuis que le domaine Mugnier de Chambolle le cultive en monopole. Replantations, culture plus soignée, rendements abaissés, biodynamie intelligente, création d'un second vin et d'un blanc confidentiel, il revit et a progressé de manière très spectaculaire ces dernières années pour devenir l'un des meilleurs premiers crus du secteur, ce qu'il n'était pas auparavant. Chapeau. Je ne connais pas le blanc et si Freddie me lit... Je suis près!-))
Aux Perdrix: le domaine des Perdrix qui appartient à Bertrand Devillard exploite 3,44 ha des 3,48 que compte le climat! Ce domaine très qualitatif produit depuis plus de 20 ans l'un des trois meilleurs vins de la commune et sans doute celui que je préfère avec les Vaucrains de Chicotot, les Saint Georges de Gouges et les Pruliers des frères Boillot et Lecheneaut. Cru placé en lisière de bois là où le volatile aime se promener! Il est composé d'un substrat argilo-calcaire de premier ordre qui donne une énergie folle à ce vin très puissant qui peux regarder le Richebourg dans les yeux et il partage avec lui cette rude finesse de texture qui mêle granularité de la trame et douce maturité des tanins. Un immense vin vinifié par un homme trop méconnu - Robert Vernizeau - humble et génial qui mériterait cent fois la gloire que nombre de vignerons moins doués que lui ont. Respect.
Les Terres Blanches: cru récent, né de remembrements, d'essartages et de nivellement conséquents dans d'anciennes carrières comblées et arasées, ce climat créé par la nouvelle génération n'aurait peut-être pas dû devenir un premier cru. Sur un peu moins de 5 hectares il livre régulièrement des rouges fruités et sains et des blancs plus intéressants qui n'ont toutefois pas le potentiel et la classe de ceux de l'Arlot. Il aurait sans doute fait un vin excellent de niveau village mais il peine souvent face aux autres premiers crus dans les dégustations comparatives que j'ai pu faire.
Patrick Essa - 2018
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Cartes: Pitiot, Servant