Qu'est-ce qu'un grand vin?
Voilà un sujet très difficile à circonscrire car il revêt des niveaux de réponse bien différents. Parle t'on de la classe absolue d'un vin au regard de ses pairs, de la qualité de son élaboration, de la transformation de son potentiel initial lié au terroir, de sa présence face à un met, de son importance social liée à une ouverture "de prestige" ou simplement du moment hédoniste passé à le déguster?
Je crois que c'est ce dernier point qui est essentiel car sans relation à l'autre, sans la joie du partage, sans ce "je ne sais quoi" qui fait que l'on a envie de boire, il y a comme une absence fondamentale, comme un truc qui fait que nous n'avons - que je n'ai! - pas envie de m'émouvoir.
Je me souviens d'expériences liées à certains flacons que j'avais en mon cellier, des grands vins qui me faisaient vibrer simplement parce que dans la cave je les croisais du regard, je savais pouvoir les ouvrir, je les sentais presque à travers le verre, mirant parfois leur couleur dans le rat de cave juste au dessus ou sentant les étiquettes légèrement moisies pour m'imprégner de ces odeurs de "bon" de ces senteurs porteuses d'espoirs, de rêve et sans doute même de folie. Combien j'ai aimé boire virtuellement mes vins en solitaire dans les méandres de ma grande cave voûtée séculaire. Qu'ils étaient grands et combien je les ai compté, imaginé et espéré!
Plus tard j'enchaînai les grands vins comme d'autres alignent des trophées, cela fut une expérience sèche, enrichissante et quelque peu fastidieuse qui me fit toucher du doigt la réalité cachée derrière les reflets du verre, celle qui autorise à pénétrer les breuvages et à les envisager selon un cahier des charges aussi rigoureux... que dénué de vibration. J'appris beaucoup, je voulais tout boire, tout connaitre, tout ressentir, tout savoir! Las, en dépit de cette ronde gustative frénétique de crus plus grands les uns que les autres, il me sembla vite que je passais à côté de sensations plus simples, plus justes, plus subtiles et moins "formelles".
Le temps vint de boire le vin sans le disséquer et surtout de comprendre qu'un flacon doit d'abord être facile à boire car sans buvabilité aucun cru ne peut être réellement intéressant. Expliquez moi pourquoi certains Porto "pesant" 20 degrés d'alcool glissent mieux que des bombes "sucreuses" en exprimant 6 de moins, dîtes moi pourquoi vous terminez à l'aise tel petit vin gourmand alors qu'il vous reste des fonds de "premiers grands" et donnez moi la raison qui vous conduit à encaver toujours le - ou les! - même vin chez le même propriétaire? Simple...vous vous régalez à chaque fois et vous aimez l'avaler! Le genre de sensation caressante et subtile qui vous apporte de la gaieté en flattant votre niveau de compréhension le plus spontané...hmmmmmm que c'est bon!
J'en suis là! Comme de nombreux degustateurs chevronnés, j'ai dû boire tout ce qui se fait de plus raffiné en matière de vin depuis la fin du 18° siècle jusqu'à avant-hier, mais aujourd'hui je ne boude pas mon plaisir devant un simple Chablis de 2013 offert par mon bouchonnier et s'il n'est pas "grand" je sais qu'il va me permettre de comprendre pourquoi dans sa simple expression, il m'autorisera à avoir le verbe silencieux, l'émotion retenue et le palais subjugué lorsque la prochaine fois je tomberai sur une immense bouteille!
A la vôtre!