Un cru, un domaine, Peyre-Rose

Publié le par Jaffuel Dany

Analyse d’un « cru » en Languedoc : Peyre-Rose

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Préambule

 

Il peut paraître pompeux que de prétendre être capable d’analyser un cru ou un domaine lorsque l’on est un simple amateur, surtout quand ce domaine est Languedocien et qu’il n’y a pas de cru ou de finage avec une « Histoire » comme dans d’autres régions françaises. L’avantage, c’est que cela laisse la place pour écrire et préciser ce que l’on pense sans avoir à se référer à ce qui est déjà écrit ou considéré comme « la vérité ». D’ailleurs et pour tout dire, mon sentiment est que l’on ne peut définir un cru ou un finage en Languedoc. On peut écrire et commenter un style, une façon « vigneronne » de faire les vins. Il y a bien des nuances entre les AOC mais quand on gratte un peu on se rend compte qu’il s’agit plus de différence entre vignerons que de véritable impact du terroir. Dans un demi-siècle, la concordance des styles, l’expérience des millésimes feront qu’il sera possible de le faire : le temps gommera certaines réalités d’école et on considérera alors un style comme une norme définissant le cru. L’histoire est déjà en marche pour certains crus. On peut citer le cas de Calce et les blancs produits sur ce terroir. Gérard Gauby y a joué un rôle fondateur, formant et installant nombre des vignerons qui font aujourd’hui parti de l’école de Calce. Dans 50 ans, la grande majorité des consommateurs de ces vins de Calce auront oublié le rôle essentiel joué par la famille Gauby. Et puis comme toujours il y aura des zones plus ou moins qualitatives et viendra le temps à l’intérieur d’un cru de segmenter et en 1er cru 2eme et plus ou grands crus selon l’air du temps et des humeurs.

 A l’occasion d’une nouvelle visite à Marlène Soria, je m’essaye, sans aucune autre ambition que d’écrire noir sur blanc ce que je pense, à l’analyse du cru/domaine Peyre-Rose. C’est pour moi plus facile de commencer par ce domaine car 1) j’aime ses vins et à contrario, les vins que je n’apprécie pas ne m’inspirent pas ; 2) je les reconnais fréquemment à l’aveugle (surtout chez les amis dont je sais qu’ils en ont en cave) ; 3) il a un style incomparable et inégalé en Languedoc.

Entre la générosité de mes amis Peyrophiles et les visites au domaine où Marlène nous reçoit comme des Princes et ouvre des vins sans compter, j’ai bu plus d’une centaine de ses vins… Et au-delà de cette expérience, c’est surtout l’envie de foutre un grand coup de pied dans la fourmilière qui me pousse à écrire ses lignes.

Pour tout dire, l’idée m’est venue au cours de cette visite du 12 Octobre avec la question d’une personne présente : cela vieilli plus de 7 ans les « Languedocs » ??? Comment peut-il encore se faire qu’un amateur de vin, « languedocien » depuis plus de 25 ans (on est de la même promo), faisant même quelques voyages « œnologiques », puisse poser une telle question ???

Des questions, il y en a eu beaucoup ce soir-là et des pertinentes : pourquoi tu attends autant pour mettre des vins en bouteilles et pourquoi ils vieillissent si bien ??? Pourquoi cette différence entre les deux crus ??? Comment se fait-il que ton vin ne soit pas aussi connu que d’autres (GDP) et aussi disponibles dans les restaurants où chez les cavistes ? Pourquoi pas d’élevage sous-bois les premiers millésimes et pourquoi avoir changé ? Et les journalistes, que préfèrent-ils réellement comme cuvée ? Et plein d’autres questions parfois « indiscrètes » qui ne seront ni rapportées ni commentées. 

 

Les vins

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Marlène nous a préparé une verticale de ces vins de 2004 à 1996. Je vais donc m’attacher à en faire une analyse synthétique et essayer ainsi de définir le « style » Peyre-Rose.

 Millésime 2004

 Un millésime que je goûte pour la première fois. Je l'ai mal goûté et cela ne me surprend pas. C'est souvent/toujours ainsi après une année de verre... Leone est celui qui s'en tire le mieux (c’est souvent /toujours ainsi les premières années de verre) car sa fougue et exubérance sont moins travesti par cette phase ingrate. Les vins (Léone, Cistes et Marlène N°3) manquent d'harmonie, les finales sont un peu dures et courtes (particulièrement vrai pour Cistes ce qui est également récurrent sur les millésimes de mise sous verre « jeunes » c'est-à-dire 2-3 ans de verre). Cela reste par contre frais avec un alcool qui reste bien intégré. Un seul point m'a surpris car inhabituel pour moi. Des notes discrètes « caramélisées » et des notes de pruneau. Les notes caramélisées se sont amenuisées avec l’aération, les notes de pruneau se sont faites également discrètes.

Je regoûterai ces vins dans 2-3 ans quand ils seront sortis de leur phase d'adolescence... Je pourrai alors me faire une idée plus précise du millésime. Je rappelle que 2004 est un millésime compliqué en Languedoc avec des maturités phénoliques difficiles à obtenir sans avoir un alcool très présent. Je rappelle aussi que Marlène Soria a particulièrement réussi ses 2002 (qui était un millésime encore plus difficile dans de nombreuses AOC).

Dans tous les cas rien d'oxydé comme on peut le lire et un 2004 qui a pu bien se goûter après la mise mais qui comme 2003 et à un degré moindre 2002 connaît la une phase ingrate. Phase ingrate suffisamment importante pour que Marlène les retire de la vente et remette par contre les 2003 qui eux sortent de cette phase (cf infra).

 

Millésime 2003

J'ai très bien goûté les 3 vins qui sont sortis de cette phase ingrate où sont les 2004. Ma préférence va pour cistes comme toujours sur les vins d'une dizaine d'année. Il me parait bien en place avec un petit supplément de fougue et de volume  que son alter ego 2002. Leone est comme à l'habitude avec ce supplément de volume et de puissance, d'exubérance. Marlène N3 est un parfait compromis entre les deux. Dans tous les cas, les trois vins se livrent avec beaucoup de fraîcheur et des gammes aromatiques sans aucune évolution (garrigues, thym, eucalyptus, moka, cacao). C’est la structure de bouche qui différencie Léone de Cistes et de Marlène N°3. Un trio qui peut commencer à se boire mais gagnera à être attendu un ou deux ans...

Millésime 2002

Un millésime en pleine forme, quintessence de ce que peuvent être les vins du domaine. Le millésime à boire en ce moment avec 1998 pour comprendre le « cru » Peyre-Rose…

Cistes 2002 a été la grande bouteille pour moi de cette dégustation. Un vin précis, harmonieux, peut être au sommet de ce qu'il sera. Une complexité aromatique avec de discrètes et fugaces notes d'évolution de sous-bois et de mousseron qui se rajoutent à la palette aromatique des 2003. Très grande longueur et grande attaque de bouche profonde concise. J'aime cette cuvée car elle me fait penser par moment à la structure en bouche des Clos Saint-Denis du domaine Herestyn ou d'Arlaud comme ce fantastique 99 bu il y a bientôt un an. Une très grande bouteille. Peut-être ma bouteille de l'année en rouge jusqu’à présent.

Leone 2002 se goûte mieux qu'il y a quelques semaines. Elle se goûte d'ailleurs très bien, mon expérience et les goûts me feraient simplement attendre une paire d'année avant de déboucher les miennes. Souvent comme la dégustation des 98 et 96 le confirmeront, Léone a une phase de plateau qui dure avec peu d'évolution au nez et pas en bouche. Le seul défaut de Léone 2002 ce soir-là était de passer après un Cistes 2002 exceptionnel. 2002 est un millésime exceptionnel au domaine qui a produit d’ailleurs les plus beaux 2002 de la région GDP inclue bien sûr…

Millésime 1998

Un grand millésime en Languedoc, millésime qui a participé à la reconnaissance médiatique de la région. Si je tiens compte des différents 98 bus (GDP, Barral, Alquier, Moulinier, Chabanon...), les vins du domaine sont probablement les plus jeunes dans leur évolution. Cistes et Leone sont tous les deux encore bien fringants. Aromatiquement, ils n’ont pas de notes confites ou d'évolution très marqués, mais des notes de fruits, d'épices, de garrigues. Léone cacaote, elle présente un volume et une puissance plus importante que Ciste, cela se faisant au dépend de la précision du vin (nuance). Cistes me semble toutefois avoir passé son sommet quand Léone pète la forme confirmant les grandes qualités déjà constatées cet été sur une bouteille personnelle... Au-delà des goûts et des couleurs, aucun vin produit à ma connaissance en Languedoc sur ce millésime n’est aussi « jeune » que cette Léone qui partage avec les Terrasses grillées de Guy Moulinier ce « cacaotage » indépendant de l’élevage (je rappelle à cette occasion que les millésimes antérieurs à 2002 n’ont jamais vu la moindre douelle de bois !!!).

Millésime 1996

Cela doit faire plus d'un an que j'ai goûté les vins de ce millésime. J'en gardais le souvenir de vins moins "jeunes" et surtout moins puissants. On retrouve les différences Cistes / Léone, des notes de café plus importantes sur les deux cuvées. Un brin d'évolution aromatique supplémentaire, les deux ne gagneront rien à être plus attendus. En dehors d’une date anniversaire, ces vins devraient être bus.

Synthèse

 

- Les vins du domaine après la mise sous verre vont passer par une phase ingrate qui dure un à deux ans (après une année environ de verre). Avant cette  phase ingrate, pendant la phase ingrate, et « juste » à sa sortie, Léone se goute mieux que Marlène N°3 qui se goute mieux que Cistes. La fougue et l’exubérance de Léone sont moins affectées par ces premières phases d’évolution après la mise sous verre que Cistes qui a tendance à se recroqueviller sur lui-même avec une attaque agréable et précise mais un creux en milieu de bouche et une finale courte parfois dure. Marlène est entre les deux. Ouvrir une bouteille alors me semble une expérience inutile.

- Les vins du domaine ont une gamme aromatique commune, ce n’est que leur évolution dans leur cycle de vie qui occasionne parfois des nuances entre cuvées dans un millésime. Il s’agit de nuances et ce n’est pas cela qui va permettre de les différencier.

On retrouve sur les vins jeunes des notes de thym, eucalyptus, cistes, romarin, au premier plan, fruits noirs et écorce d’orange plus rarement et alors moins puissantes. Les notes de cacao et de café apparaissent dans un second temps. Ces notes ne sont pas liées à l’élevage sous-bois mais à la maturité des syrahs. Je rappelle à cette occasion (2) que les millésimes antérieurs à 2002 n’ont jamais vu la moindre douelle de bois !!! Dans un troisième temps, on peut avoir des notes de sous-bois, de truffe, de mousseron, des notes de fruits confits (vins d’une vingtaine d’année). A ce jour et dans mon expérience, ces notes « tertiaires » sont surtout présentes sur certains millésimes antérieurs à 1995 si la garde de la bouteille a été parfaite comme c’était le cas lors de ces dégustations de vins qui n’ont jamais quitté le domaine.

 - les vins du domaine ont une architecture de bouche qui les différencie.

A maturité, Cistes est marqué par une plus grande précision, une plus grande finesse et élégance. Moins puissant que Léone, moins exubérant. Marlène N°3 est entre les deux (mais expérience courte puisque que 2003 analysable).

Cela à une conséquence à mon avis : à maturité, il convient de boire Cistes avant Léone (valable pour 2002, 98 et 96 de cette dégustation). Lorsque l’on a posé la question à Marlène de savoir d’où pouvait venir la différence, elle avance comme hypothèse les sols. Plus d’argile et d’eau sur les parcelles de Leone, plus « pierre » et cailloux pour cistes. Les vignes ont été plantées en même temps avec mêmes clones et porte-greffe, même origine des plants, les orientations et altitudes sont comparables. A la question quel est ton vin que les journalistes/critiques préfèrent et achètent pour eux : Clos des Cistes…

 - Beaucoup ont reproché à cette vigneronne son manque de connaissance « œnologique » et son côté sensoriel/sensitif. On lui reproche la perte de 3 millésimes (99-00-01). Je ne reviendrai pas sur le problème du revêtement des cuves, des expertises sont toujours en cours… On peut tout au plus lui reprocher d’avoir accordé sa confiance à des personnes qui ne la méritait pas.

Je suis convaincu que les connaissances techniques et œnologiques de Marlène sont bien plus importantes que ce que certains voudraient nous le faire croire mais surtout, comme tous les autodidactes brillants, elle « intuite » et voit/sent les choses avant les autres (ne leur en déplaise). Le millésime 2002, réussite exceptionnelle au domaine en est une preuve incontestable. Il n’y a aucun domaine Languedocien ou Roussillonnais ayant produit des vins de cette qualité sur ce millésime GDP inclue. La tenue dans le temps de ces vins avec la jeunesse de ces 98 mais surtout de ces 92 ou 91 est stupéfiante. Le magnum de Cistes 91 ouvert à la 80éme Paulée par l’importateur de Marlène a été une des grandes bouteilles et il y avait une prestigieuse concurrence…

A la question pourquoi tes vins durent dans le temps, Marlène réponds par la notion d’équilibre. Elle a effectivement un équilibre diabolique sur ces vins qui la différencie des autres (le compromis puissance/maturité/acidité est singulier). Je pense pour ma part qu’elle extraie aussi plus que d’autres vignerons. On lui a refusé un rosé à l’agrément car il était trop coloré. Une anecdote : elle va procéder à un nouveau soutirage de ces 2005 en cuves qui vont être mis en bouteille le mois prochain. Elle était sur la table de trie en 2013.

A la question pourquoi un choix d’élevage en cuve, la réponse est croustillante. Pendant longtemps, les domaines Languedociens ont été snobés par les tonneliers. Cela coutait par ailleurs très cher et les vins se vendant mal, l’élevage en cuve était « la solution ». Avec la reconnaissance du domaine et les entrées financières correspondantes, il a été possible d’acheter des foudres sur lesquels passent une partie des vins. Remarque personnelle… il est amusant de constater que les amateurs/sommeliers qui découvrent la région adorent bien souvent des vins élevés en François Frères (Montcalmès, GDP…). Peyre-Rose fait exception.

- On ne sert pas un Peyre-Rose dans un verre INAO ou Spieglau expert. Il parait alors lourd et chaleureux. Il faut un verre au goulot plus large sans aller jusqu’au Riedel Pinot Noir toutefois. Je ne suis pas convaincu par le Riedel Syrah, je sers mes Peyre-Rose dans des Authentis 01. L’ordre de service me semble également important. Il vaut mieux le positionner en fin de repas car sinon sa puissance et aromatique va écraser les autres vins.

- Marlène Soria est bien différente dans la « vraie vie » de l’image véhiculée de « diva » par certains journalistes. C’est une personne très humble, simple, attachante, pas du tout branchée marketing et distribution de ces vins. Elle en a d’ailleurs confié la distribution aux Caves du 41 à Nîmes et à quelques importateurs (en particulier la Corée). Elle se déplace peu. Elle est aidée par son époux Philippe pour la culture de la vigne, la partie vinification étant son jardin secret. Un sacré jardin secret car en 7 ans, je n’ai jamais dégusté sur cuve. C’est aussi çà le mythe « Peyre-Rose ».

 

Dany Jaffuel

Peyre-Rosephile

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