Les premiers Crus de la Côte Saint Jacques à Gevrey-Chambertin (version 2018)
Gevrey-Chambertin: Les premiers crus de la Côte Saint Jacques
Ecrit par Patrick Essa - 2018
Certains premiers crus de la côte ont une « aura » de grand cru pour de nombreux dégustateurs et il est parfois assez incompréhensible de constater leur niveau année après année sans pouvoir expliquer le « pourquoi » qui les a éloigné de la plus haute marche du podium au moment de la naissance des AOC dans les années trente.
Au moment des classements en grand cru juste avant la seconde guerre mondiale, le Chambertin brille de tous ses feux et de mémoire d’homme il a toujours été le premier avec son frère de sang le Clos de Bèze. Les vignes qui jouxtent ces deux terres sont plus morcelées, un rien moins bien exposées et moins considérées dans l’imaginaire communal, mais il faut dessiner un périmètre de vignes « grand cru » qui puisse satisfaire à la fois les propriétaires récoltants, les fermiers et le puissant négoce de la place ; tout en conservant la puissance de feu d’une commune qui est déjà à la première place de la côte de Nuits en compagnie de sa jumelle Vosne Romanée. En sommes il faut être capable de donner une belle surface de grand cru tout en préservant la notoriété et le sérieux de la commune en montrant que tout ne peut être classé et que surtout ce classement possède une logique. On découpera donc selon les limites joignantes des deux seigneurs précités. Un classement d’école qui – assez loin d’entériner des usages loyaux et constants – laisse sur la touche les meilleurs crus de la Côte Saint Jacques en minorant au moins trois crus de très ancienne notoriété : Le Clos Saint Jacques, la Combe aux moines et les Cazetiers.
Le Comte de Moucheron – châtelain de Meursault – possède alors l’intégralité du Clos Saint Jacques et se montre peu attiré par un classement hiérarchique qui lui paraît superflu du fait de sa position de monopole. A quoi bon classer un Clos qui de toute manière est déjà reconnu comme une tête de cuvée incontournable. Cazetiers, Estournelles et Combe aux Moines plus morcelés ne possèdent pas de vrais défenseurs influents. Les Veroilles appartiennent à M. Joliet et lui non plus ne se montre pas « acharné » pour classer cette merveilleuse entité exposée plein sud. Les instances légales ont semble t’il tranché sans avoir eu à entendre vraiment la « voix de la côte Saint Jacques » et en négligeant de manière fort légère les classements anciens. En effet le docteur Lavalle classe Verroilles, Saint Jacques et Clos Saint Jacques, Estournelles et Castiers (sic) en premières cuvées de finage comme Ruchottes, Grillotte (sic), Charmes haut, Chapelle haute et Mazy haut. Latricières, Mazoyères et toutes les parties basses des crus de la côte chambertin sont reléguées au rang de seconde cuvée…avouons le cette vision là correspond nettement plus à la réalité du terrain et à mon sentiment de dégustateur.
Le Clos des Varoilles:
En Bourgogne, le classement semble immuable et les terres répertoriées depuis près d’un millénaire. Toutefois les réputations évoluent imperceptiblement. Ainsi les Varoilles étaient elles été largement majorées au niveau de leur réputation au cours des siècles précédents. Propriété du Chapitre de Langres depuis le début du 13 ieme siècle jusqu’à la révolution, ce Clos de mi-pente regardant le Sud a de temps immémoriaux été considéré comme une des terres les plus parfaites de la commune et nous savons que son prestige fût grand en même temps que ces vins courtisés par les plus grandes cours d’Europe.
Son nom vient de sa situation dans le petit Vallon qui l’abrite ou dans lequel il se blottit, « vallicula » en latin et il est évidemment significatif de sa morpho-géologie si particulière.
Aujourd’hui tombé dans un demi anonymat si on le compare à ses pairs grands crus, il n’en a pas moins une véritable nature de climat d’élite, et surtout possédant une singularité étonnante dans le concert des Crus gibriaçois.
Sur 6 hectares ce Cru monopole géré depuis le début des années 1990 par le très discret Georges Hammel - après que la famille Naigeon l’ait eu en charge - est posé sur un sol argilo-calcaire de tout premier ordre. Caillouteux, « pentu », parfaitement drainé et composé d’une terre blonde à sombre légèrement chargée en oxyde de fer, il est au moins au niveau potentiel de ses glorieux voisins que sont Saint Jacques et Cazetiers, avec peut être même plus de bouquet et de sève qu’eux. Et puis par dessus tout sa situation lui confère une régularité à nulle autre pareille car il bénéficie des vents frais de la Combe Lavaux en même temps que d’une chaude exposition Sud.
Les vins qui en sont issus bénéficient de ses différents atouts et s’ils se montrent parfois un peu ferme lors de leur jeunesse, ils vieillissent admirablement sur un fruité noir et d’originales notes épicées.
Je le déguste peu mais je suis à chaque fois étonné par sa profondeur et ce grain tannique un peu anguleux qui lui confère une tension interne affirmée. J’aimerais vraiment pouvoir le déguster sur une verticale car son particularisme génétique est immense.
La Romanée
Le nom est magique et n’indique pas tout à fait qu’il est en lisière de bois dans un endroit assez frais qui prolonge en une bande étroite le Poissenot la famille Humbert. On pense plus aux pentes douces vosnières qui sont marquées par des argiles plus lourdes. Point de tout cela ici, nous sommes sur une vraie terre caillouteuse, pauvre et maigre où la vigne souffre. On retrouve en cette zone une source basse, « roman » selon l’étymologie latine, son nom en proviendrait probablement. Logiquement, plutôt dévolues au chardonnay ces zones hautes sont dans la Côte productrices de vins blancs. On pourrait ici produire le meilleur Cru blanc du nuiton sans nul doute! Pourtant nous sommes à Gevrey et seul un vin rouge en est issu, monopole de un hectare, également géré par le domaine des Varoilles.
C’est un Cru énergique, tendu et très parfumé. Il sent la petite fraise sauvage que l’on trouve dans les bois qui coiffent la parcelle et ce très rare Romanée est aussi subtil que Varoilles est profond et complexe. Une perle qui mériterait également une verticale!
Le Poissenot
Poissenot est l'un des premiers crus de Côte d'Or les plus élevés sur le coteau. Enclavé entre Les Varoilles et Estournelles il culmine à près de 355 mètres alors que la moyenne des autres crus et proche de 260 mètres. Son exposition plein sud compense partiellement cette situation en altitude mais n'empêche pas le cru de s'exprimer sur une rectitude qui confine parfois à l'austérité. Je me suis toujours demandé d'ailleurs si cet endroit marno-calcaire très caillouteux n'auraient pas dû constituer un naturel cru blanc. Il y a fort à parier que l'on en vinifierait d'excellents ici et je suis bien certain que dans le passé certains essais y ont été opérés. Si quelqun en a le souvenir, qu'il me contacte!
Sans que je puisse absolument en être certain car mes dégustations de ces 15 dernières années n'ont pas été assez analytiques et comparatives sur ce cru, il me semble de manière intuitive que l'on peut isoler deux secteurs Poissenot. Le premier dans la partie haute contre La Romanée, que je nommerai "la maison bleue" comprend une partie conduite en terrasse et est cultivée par la famille Humbert. Un endroit frais et sec qui bénéficie d'une des plus belles "vues" de la commune sur la fin de Combe et le début du village de Gevrey haut. Le second en dessous jouxte Estournelles au levant en formant une sorte d'enclave dans les Varoilles. Les familles Geantet, Clair et Lucot se partage ce lieu mais seule la première en tire régulièrement une cuvée isolée. Les deux secteurs diffèrent car si le premier est plus fin et élégant, le scond est marqué par une richesse constitutive plus affirmée.
Si son nom et sa petite surface le déservent quelque peu il ne faut pas négliger la qualité de ce vin qui ressemble un peu aux Chanlin et Clos des Ducs de Volnay et à la partie haute du Clos des Chênes.
La Bossière:
ce tout petit cru mesurant moins de 50 ares est la propriété exclusive du domaine Harmand-Geoffroy. Le climat est situé à l'extrémité de la Combe Lavaux juste dans le prolongement du bas des Verroilles. Son sol brun noir chargé d'argile est également mêlé de petits cailloux. Situé dans une zone fraîche, tardive et orientée au Sud- Est, il y puise une nature délicate et subtile lorsqu'il est récolté bien mûr. En année tardive son grain peut être plus anguleux, sa couleur plus légère et sa tension plus affirmée. j'aime sa personnalité singulière assez atypique à Gevrey si l'on excepte les Estournelles. Le domaine Harmand Geoffroy un tire un vin d'une rare finesse qui mérite vraiment d'être dégusté.
Lavaux Saint Jacques:
Le terroir de Lavaux - ou Lavaut - sur Gevrey est sans doute l'un des plus austères de la commune. Placé dans la partie est de la combe dont il porte le nom, il est assez venté et il lui faut plus de temps que les autres pour parvenir à juste maturité. Toutefois lorsqu'il est cueilli parfaitement mûr il dispose d'une puissance et d'une complexité qui le place parmi les meilleurs crus de la commune. N'attendez toutefois jamais d'exhubérance de ce cru retenu en jeunesse. C'est un cru svelte et dense qui possède une nature compacte en même temps que terriblement puissante et un rien sauvage. J'avoue l'apprécier particulièrement et il me semble être le seul à pouvoir rivaliser avec les Cazetiers et le Clos sur cette Côte. Encore faut-il observer où il est produit car les parties hautes - plus caillouteuse - et basses - marquées par les argiles - n'ont pas toute la même expression.
Positionné sur un sol argileux et calcaire parsemé de bans marneux, Lavaux est orienté Sud-Sud Est et si la fraîcheur éolienne des vents de la combe l'impreigne, il est aussi marqué par une forte et tardive insolation. Entre froid et chaleur il dispose d'une des natures les plus originales du finage. Mesurant un peu plus de 9,5 hectares il est assez morcelé mais a la chance de compter de nombreux excellents producteurs le récoltant.
Estournelles Saint Jacques:
Tout contre le Clos Saint Jacques qu'il longe dans sa partie supérieure, le petit cru d'Estournelles - ou encore Etournelles - surplombe le Lavaux Saint Jacques. Marqué par des terres assez pauvres calcaro-marneuses il fait sans doute partie des vins les plus élégants et raffinés de la commune avec un caractère qui le rapprocherait singulièrement de l'équilibre d'un grand vin blanc. Terre d'altitude, un peu fraîche, ventée mais parfaitement ensoleillée grâce à son orientation au Sud-Est, je le tiens pour l'une des petites merveilles minorées de Bourgogne.
Les vieux vins d'Henri Magnien, du très discret domaine Esmonin - à ne pas confondre avec Sylvie Esmonin - m'ont toujours séduit par leur style pur et ce côté tacile si caractéristique de ce climat? Emmanuel Humbert produit ici une pièce annuelle d'un vin hors norme qui est sans aucun doute "sa" grande cuvée. Recherchez ce cru car il le mérite!
Le Clos Saint Jacques:
Voilà un clos qui a appartenu longtemps - en monopole - à la famille du Comte de Moucheron de Meursault. Il fut de ce fait éloigné d'un classement en grand cru car son statut de Clos ne le prédisposait pas plus que cela à ce classement d'un type "nouveau" dans les années 1930...funeste erreur! Aujourd'hui le Clos se partage entre cinq propriétaires et est dans son entier considéré comme le meilleur premier cru de Gevrey-Chambertin et sans doute même de toute la côte nuitonne avec les Amoureuses de Chambolle. Il se vend de ce fait souvent au prix d'un grand cru et en a toute la classe naturelle.
Terroir marno-calcaire, caillouteux et idéalement exposé au levant, il part de la base de la route de la Combe Lavaux pour finir proche des sapins. Sa situation de sortie de Combe associée à sa pente forte qui combine différents étages de températures en font une entité d'une complexité rare. Si l'on ajoute que chacun des propriétaires en possède un ruban le coupant d'Est en Ouest et donc de bas en haut, on comprendra aisément que ce vin est "naturellement" régulier et homogène.
Les Cazetiers:
Le cru Cazetiers est situé sur la partie nord du finage, dans ce que l'on appelle localement la Côte Saint Jacques. Son sol brun foncé, argilo-marneux et mêlés de rendzines légères à certains endroits est orienté vers l' Est sur une pente assez forte. Cela procure au vin un caractère masculin affirmé. Les Cazetiers sont des vins corsés, charnus et un peu sauvages qui ont besoin d'une longue maturation sous verre pour donner toute leur mesure. Le climat est composé de deux parties distinctes:
Les Cazetiers proprement dits - 9,12 ha - qui partent du mur du Clos Saint Jacques et vont jusqu'au Combe aux Moines et les Petits Cazetiers - 96 ares -situés juste en dessous de la Combe aux Moines et qui semblent quasiment intégré dans ce cru dans une zone légèrement vallonée. Les "Grands" Cazetiers partent des maisons du vieux Gevrey pour venir mourir tout contre les sapins à une altitude relativement élevée, près de 340 mètres. Ce sont des vins d'une rare complexité, sauvages et aériens qui n'ont d'équivalent dans la commune que le Clos Saint Jacques. Aussi pleins que l'ensemble des grands crus de la Côte Chambertin ils se ditinguent nettement d'eux par un grain de texture plus affirmé et une certaine "dureté" en jeunesse. Mais au vieillissement ce sont des vins sanguins et sauvages absolument incomparables. Je les tiens pour l'un des cinq meilleurs climats premiers crus de deux Côtes "Oriennes" .
La Combe aux moines:
La petite histoire retient qu’un moine se servait ici en pierres une fois son labeur terminé lors de la construction du vieux château de Gevrey. On ne sait si seul il a pu transporter assez de cailloux pour en faire une façade ou un mur d’enceinte mais il est évident que le labeur de celui là aura marqué son temps! L’image du moine rougeot, buveur et soucieux de mesurer son travail en prend un coup!
Cru élève situé entre Cazetiers et Goulot il est effectivement proche d’anciennes carrières dont certaines ont été comblées. C’est un vin très bouqueté et ferme qui peut avoir la dimension du Cazetiers voisin avec sans doute un peu moins de sauvagerie en lui. Sur 4,77 ha il livre une partition fraîche et enlevée et bénéficie de nombreux bons vignerons pour le mettre en valeur.
Les Goulots:
Boire le vin à la Gole, le boire à la source en vieux français. Ainsi cette résurgence a t’elle une fois encore donné son nom au lieu qui porte les vignes. Nous sommes donc assez loin du goulot de la bouteille, à moins que l’image de la source qui coule ait également eu une incidence sur les noms qui composent les différentes partie du contenant.
Je déguste parfois celui de la famille Heresztyn et à chaque fois il me fait penser au vin d’une terre élevée avec un fruité très frais et engageant et une redoutable « digestibilité ». Moins connu que ses voisins,il reste un Cru de fort bon niveau qui ne se vend pas toujours au prix des plus connus. Une affaire donc.
Climat très élevé sur le coteau, l’un des plus haut du nuyton, , situé non loin de vieilles carrières, il est marqué par un substrat pierreux dans une zone qui est un peu plus tardive que ses voisines. De ce fait les vins qui en sont issus sont frais et altiers et marqués par de notables arômes de fruits rouges frais.
Les Champeaux:
Cru discret idéalement placé à la sortie du village de Gevrey en allant sur Brochon, coincé entre les Evocelles, les Goulots et les Combes aux Moines, Champeaux donne des vins énergiques et puissants à forte capacité de garde. Son sol exposé au levant, pentu et caillouteux est composé également de terres marno-calcaires parfaitement draînées. Il me semble assez évident que le cru porte en lui deux expressions distinctes liées àl'emplacement des vignes sur le coteau. Les parties hautes plus fraîches donnent des vins à tension affirmée qui doivent tempérer leur fougue sur la durée; alors que les parties basses sont plus directement séductrices et possèdent un "soyeux potentiel" de texture plus directement évident. Bien entendu tout cela doit être tempéré par les modes de vinfications dont usent les viticulteurs.
J'ai toujours apprécié ceux puissants du domaine Naddef et l'élégance des vins de Denis Mortet et Gérard Harmand. Je me souviens aussi avoir dégusté de vieilles "quilles" chez Henri Magnien - la mémoire de Gevrey-Chambertin - en compagnie de son fils.
Patrick Essa - Vigneron au domaine Buisson-Charles à Meursault - 2018
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