A propos des vins notés 100 sur 100 et des vins parfaits...

Publié le par Patrick Essa

Qu'un 100 soit un vin excellent personne n'en doute. Mais la juste question qui a trait à une évaluation chiffrée est " qu'a t'on évalué? ". Comment parvenir à objectiver une évaluation au point d'en définir une quantification maximale selon des items choisis par avance? Si l'on s'en tient au traditionnel trio, couleur puis olfaction et enfin arômes en bouche, il est à peu près certain que maximiser chacun de ses paramètres pour plaire au juge,  en allant vers toujours plus de couleur, d'intensité et de concentration, revêt un caractère extrêmement réducteur. Et pourtant s'il y a bien un lien entre l'ensemble de ces 100 c'est bien la noirceur de la robe, l'exubérance d'arômes mûrs et la densité conférée par une forte abondance tannique. On notera par ailleurs que ce mode ne vaut que pour les vins cuvés et colorés et qu'en conséquence bien moins nombreux sont les blancs qui accèdent au graal.

 

  Sur le fond, ce modèle docimologique, s'il ne met pas en cause la probité de celui qui l'emploie, porte en lui les déficiences de celui qui n'a pas touché du doigt la réalité d'un vin d'équilibre porteur d'un message qui n'est pas quantifiable et qui puise son originalité dans le fait que chaque paramètre gustatif résonne sur l'autre. Ainsi le vin rouge peut être très concentré et clair, peu intense aromatiquement mais infiniment complexe et subtil, peu tannique et pourtant d'une puissance inouïe, peu acide et d'une grande fraîcheur...la liste est infinie et renvoie surtout à la notion simple qui veut qu'un vin de cru pulvérise les canons admis et les échelles de graduation qualitative car il naît sur une vision qui est celle d'un homme ( vigneron, œnologue, vinificateur ou éleveur) au service de l'expression de ses fruits.


  Il n'est rien de plus facile aujourd'hui que d'obtenir profondeur de couleur, maturité de fruit et ampleur tannique monstrueuse, et il est tellement plus complexe de produire un très grand vin original qui se boit aussi aisément et aussi naturellement  que de l'eau de source du Mont Blanc. Imagine t'on un 100 avec moins de 25% bois neuf, sans osmose inverse et sans 14 degrés ou plus? Citez le moi!


 Je me souviens d'une liste des 100 plus grands vins de la planète publiée en début d'année. J'ai dû en déguster - plusieurs fois pour certains d'entre eux - plus des deux tiers,  mais dans ceux là pas plus de cinq figurent dans mon panthéon personnel. Non car je suis plus exigeant que vous, simplement car nous avons tous notre référentiel. Et que la plupart du temps il a trait à notre culture, nos connaissances et notre sensibilité.


   Je ne l'impose à personne mais il est évident qu'un grand parmi les grands est au moins aussi souvent  blanc que rouge et comme je vinifie et aime les deux, il m'apparaît clairement que produire un grand blanc est aussi complexe et exigeant si ce n'est plus... Hors, en dehors des liquoreux élevés en cuve ou en foudre point de grosses notes "blanches"chez l'ensemble des évaluateurs. Dans ces derniers les degrés constitués par rapport aux sucres résiduels jouent le rôle des tanins, ils densifient les crus en leur apportant une chair et une viscosité qui épate le dégustateur. Mais peut on les boire comme de l'eau de source? Que Nenni! Ces vins ne sont pas mauvais, voire excellents mais ce sont juste des vins dont l'identité principale est conférée par le producteur.

 

   Posez vous cette simple question, aimez vous les vins qui ne sont pas habillés par l'élevage, le bois, l'alcool, le gaz et les sucres?  Si l'on cherche à s'effacer en gommant les effets de l'élevage et en œuvrant sur une matière saine, alors il est absolument certain que le plus haut niveau d'expression exclu TOUTES notes d'élevage perceptibles. Ainsi un vin dont on ne sent ni le bois utilisé, ni la chaleur alcoolique, ni la sucrosité de sur maturité, ni l'aspérité tannique des diverses éléments qui peuvent la générer, ni le sulfite ajouté et encore moins les scories aromatiques générées par les effets de l'élevage (CO2, réduction, torréfaction, notes lactiques...). En somme une bouteille qui porterait en elle un équilibre autorisant l'expression conjuguée ultime de notes variétales discrètes conférées par son cépage, de notes issues du couple vinifs/élevages magnifiant son origine climatique en exprimant sans fard une origine noble et d'une concentration naturelle de l'ensemble de ses éléments analytiques qui lui confèrent équilibre et stabilité...
...Cependant ce vin parfait n'existe que dans la tête de celui qui déguste et aucun de nous sur cette terre ne dispose d'un palais omniscient.

    Aujourd,hui ce qui est fait pour obtenir de hauts scores  n'est pas automatiquement ce qui est bon pour l'excellence. Ainsi par exemple, le bois neuf fixe les couleurs, augmente la richesse tannique et aromatise sensiblement les vins jeunes... Une fin en soi? Non! Par ailleurs user d'anti-pourriture et d'engrais pour retarder la montée des sucres et terminer plus haut en alcool avec des raisins mûrs n'a rien d'un progrès, c'est juste un process visant à étoffer la chair du vin. Utile? Oui pour aller vers le muscle. Mais dites moi quel est le plus bel athlète: monsieur Olympia ou Federer? J'ai mon idée...

 

   Constater que certaines pratiques ont cours ne définit pourtant aucunement un process forcément efficient. Les techniques culturales,de vinifications et d'élevage positionnant les curseurs au maximum donnent de très bons crus, puissants, nets, lisses mais certainement pas les plus spirituels. Je ne suis pas devin mais j'annonce que dans peu de temps le retour à des usages plus mesurés sur les élevages et centrés sur l'obtention de beaux raisins mûrs à 13 degrés va forcément se développer car je suis loin d'être le seul vigneron de ce pays à rechercher une concentration par les fruits en diminuant les rendements par pieds tout en augmentant les densités de plantation pour générer moins de raisins par ceps sans le moindre botrytis. Le retour à un matériel végétal de premier ordre, aux portes greffes adaptés aux types de sols - combien de portes greffes SO4 plombent encore les vignobles par Ex - à des plants très fins peu alcoologènes et à une culture sans pesticides et sans produits systémiques. La bio annonce cette tendance avec une naïveté parfois désarmante mais la science saura nous apporter une réflexion qui nous permettra de travailler de plus en plus sainement avec efficacité. Les vins opèreront alors forcément un virage vers moins de tanins de bois, moins d'alcool, plus de fraîcheur et une buvabilité accrue. Je ne suis pas nostalgique du passé et suis certain que ces crus là seront infiniment plus racés, équilibrés et élégants tout en ayant plus de fond et de concentration

 

  En somme, Si j'apprécie un certain nombre de ces vins dits " modernes "  en dépit du fait que  je ne " goûte "guère ce terme qui signifie dès qu'on le prononce que les autres vins sont passés de mode, je reste dubitatif sur la perception moyenne que l'on retire lorsque l'on boit un "100". Buvable ou pas, son profil est en général rouge, sombre, boisé, tannique et mûr. Sans évoquer sa singularité je trouve ce cadre très réducteur et surtout reproductible.
  Les blancs qui sont pensés et vinifiés sur plus de douze mois parfois ont il me semble plus d'arguments à faire-valoir pour exprimer avec force une origine en étant faiblement imprégné de notes aromatiques, tactiles ou gustatives liées à l'élevage. Hors  pour ma modeste vision des choses cette notion de transparence est fondamentale lorsque j'évoque les sommets gustatifs que j'ai en tête. Ainsi les aspérités tanniques des vins - un simple exemple parmi d'autres - de Conterno me dérangent au plan ultime. Oh c'est très bon, complexe et tout et tout...mais tout comme pour les crus bourguignons que l'on imagine en ce moment au pinacle, ils ne me paraissent pas "parfaits"(on notera toutefois que A. Meadows ne met jamais cette note ultime). Et 100 c'est parfait sur le papier non?
  En ce sens le système qui n'est pas inutile connaît ses limites car en dépit du cadre qui le porte sur le plan formel et des règles qui s'y appliquent, une note maximale de 100 (ou 20/20) possède en elle une part notable d'incertitude et de subjectivité. J'ai  essayé de noter sur 100 dans un lointain passé et suis aujourd'hui obligé de composer avec les scores que l'on attribue à mes crus, mais je les considère aujourd'hui comme des indices de performance qui demandent à être moduler à chaque dégustation. En aucun cas comme des juges de paix ou des valeurs figées.


  Cela dit, ces notes définissent des normes qualitatives et sont prescriptives, elles indiquent aux acheteurs des tendances sur les domaines et proposent un chiffre comme on attribue un accessit en positionnant le vin dans une "classe". Cela répond à une demande d'acheteurs car  on ne peut avoir accès à tout, même en étant dans le "sérail" des dégustations toute l'année.
  Je considère quand même que le vin de demain - j'en suis persuadé - a devant lui de beaux challenges à relever et qu'il n'a pas fini de progresser et s'il est sûr que nous ne parviendrons jamais à la perfection, il est certain que nos marges-progressions sont importantes. Y compris pour les 100 actuels...

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